• GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 196

    Le locataire

    Un matin, tante Ida déboule, hors d’elle, à la maison.

       — Vous ne connaissez pas la dernière ? Le magasin en-dessous de chez moi vient d’être loué par...

    Elle prend une large inspiration, puis lâche, dans un souffle :

     —... une tapette !

     C’est la première fois que j’entends ce mot.

      — Une quoi ?

     — Un homme efféminé, traduit sèchement papa. Et que vend-il ? 

     Ma tante confesse son ignorance. Obnubilée par l’indignation, elle n’a pas pensé à s’en informer.

     — Quelle honte, conclut-elle. Un dépravé pareil, à quelques mètres de l’église...

     Intriguée par ces simagrées, je m’empresse d’aller voir le dépravé en question, dont la boutique se trouve sur le chemin de l’école. Et je tombe sur un monsieur charmant, d’une quarantaine d’années, en train d’installer des aquariums.

    M’apercevant plantée devant sa vitrine, il me lance :

    — Tu aimes les animaux ?

     J’acquiesce avec enthousiasme. Alors, il m’invite à visiter son fond de commerce, essentiellement constitué de reptiles : lézards, tortues, caméléons, couleuvres... et même un bébé crocodile, qui m’arrache des gloussements attendris.

     — On peut les acheter ?

     — Bien sûr, ainsi que des poissons rouges, des plantes aquatiques, et tout ce qui concerne l’aquariophilie.

     Je suis enchantée : ce magasin donne à ma rue un attrait nouveau. Ma tante, en revanche, déclenche un urticaire géant.

     — Elle a une peur panique des bêtes à sang froid, m’explique maman. Ça lui provoque de l’allergie.

     — Il faut avertir le propriétaire, dit papa. Qu’il vire cet olibrius et sa ménagerie !

     Le propriétaire, contacté, refuse tout net, de sorte que, quinze jours plus tard, tante Ida déménage. Je me suis toujours demandé — et je me demande encore — si c’est la phobie des reptiles qui l’a fait fuir, ou celle des mœurs de leur éleveur. A la réflexion, j’opterais plutôt pour la seconde solution. On ne badinait pas avec la morale, en 1955, dans ma famille !

    « Et une illustration pour Zoé Borborygme, une !La Zèbre a encore frappé ! »

  • Commentaires

    1
    Dimanche 26 Août 2012 à 09:55
    Benoît Barvin
    Cette "tapette" me rappelle un des trois films polars de Sinatra (Je pense qu'il s'agit de celui qui est intitule: "Le détective") où ce terme est repris par le Boss lui-même. La "tapette" en question est gras, laid, couard, âpre au gain, bref a tous les défauts du monde. Et il faut voir l'attitude de Sinatra, méprisant, injurieux... Un film qui montre combien, dans les années 60 encore, l'homosexualité dérangeait la société conservatrice américaine... Là-bas, on flinguait les homos - métaphoriquement? - Ici, dans notre jolie Europe, ce sont les tantes (ahaha) qui préfèrent s'enfuir (je n'ose dire la queue entre les jambes, mais tant qu'à faire des métaphores, hein?)...
    2
    Dimanche 26 Août 2012 à 23:37
    Tororo
    Un magasin spécialisé dans les reptiles, et qui proposait des serpents et des crocodiles? Votre voisin était un pionnier! J'imagine que même Monsieur Gudule père a dû perdre au moins un de ses préjugés à son contact: celui que le propriétaire d'une animalerie c'est au premier chef quelqu'un qui fait des minets.
    3
    Lundi 27 Août 2012 à 04:41
    Castor tillon
    Quand j'étais gosse, le fils d'un de nos voisins débarquait quelquefois avec son petit ami, et ils se baladaient dans la cité en se tenant par la main. C'était vécu par les jeunes (et les vieux) du coin comme une véritable provocation, et les deux hommes essuyaient à chaque fois un tir de barrage, des projectiles, et même des coups. Une haine effrayante et complètement hors de proportions.
    C'était pourtant dans une banlieue rouge, et les gens du quartier n'étaient absolument pas pétris de morale ou de religion.
    Le visage de la connerie est multi-facettes et tentaculaire.

    (ça se dit, ça, un visage tentaculaire ? Faudrait que je demande à Peppone.)
    4
    Lundi 27 Août 2012 à 22:30
    Castor tillon
    Tu remarqueras que la plupart des gens qui invoquent le "contre nature" sont ceux-là même qui violent sans aucune vergogne les lois naturelles les plus élémentaires : ils se saoûlent jusqu'à ne plus se rappeler le nom de leur père, s'empiffrent au point de développer un bidou qui fera disparaître leur friquette de leur vue à jamais... Friquette qu'ils s'empresseront de fourrer sans complexe dans la culotte de la femme de leur meilleur ami, dès que celui-ci aura tourné le dos.
    Je parle en tout cas de gens que j'ai connus à cette époque.
    Je n'évoquerai même pas ceux qui volent, trahissent et pillent leurs commensaux, ou polluent en toute connaissance de cause au nom du Saint-Fric.
    Ah, tiens, si : j'ai évoqué.
    5
    Gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:43
    Gudule
    Ouaip, l'après-guerre était redoutable pour les gens non conforme. La morale bourgeoise était toute-puissante, omniprésente, impitoyable. Et, vu son puritanisme extrême, je n'aurais pas aimé être à la place de la queue entre les jambes de ma tante !
    6
    Gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:43
    Gudule
    @ Tororo : oui, oui, il avait des bêtes comme les zoos ! Mais j'ai pas le souvenir d'avoir vu des boas constrictors... ni des petits chats (forcément !)
    @ Castor : je n'ai jamais compris (et ne comprendrai jamais) l'hostilité que peuvent déclencher, parmi leurs semblables, deux êtres qui s'aiment en général, et deux hommes en particulier. Il y a là un mystère identitaire, freudien ou je ne sais quoi qui m'échappe totalement. Et personne n'a jamais été foutu de m'en donner la raison, hormis cette phrase d'une stupidité sans nom : "C'est contre nature". Comme si TOUTE la société humaine, au travers de son histoire, n'était pas, par essence, contre-nature...
    7
    Gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:43
    Gudule
    T'as oublié les culs-bénis qui se contentent d'user leurs genoux sur des prie-dieu, mangent du poisson le vendredi, et le reste du temps vomissent sur leurs voisins. Sans compter le nœud dans la bistouquette !
    8
    Nadege
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:43
    Nadege
    Respect à la mémoire de cet homme.

    Votre dernier commentaire ma rappelle ma grand-mère (oui encore elle :D ) "bonne chrétienne" comme il faut.
    9
    Gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:43
    Gudule
    Redoutable, hein ! Selon dans une religion qui prône, soi-disant, l'amour d'autrui !
    10
    Nadege
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:43
    Nadege
    Enfin l'amour d'autrui s'il est blanc, riche et de sexe masculin surtout ^^
    11
    Gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:43
    Gudule
    C'est exactement ça... Et dans ma réponse précédente, je me suis emmêlé les pinceaux (l'indignation, sans doute) : au lieu de "selon" il faut lire "surtout"
    12
    Nadege
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:43
    Nadege
    Pour ce pêché mortel, vous viderez 1 bouteille de bon vin avec le dictionnaire de l'académie française sur la tête :P
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    13
    Gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:43
    Gudule
    Oui, ma mère... Mais puis-je en même temps chanter une chanson paillarde ?
    14
    Nadege
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:43
    Nadege
    Une seulement ? Vous avez une sacrée descente :P
    15
    Gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:43
    Gudule
    Ah, si vous m'en autorisez plusieurs, j'en ai tout un répertoire ! Mais je craignais d'abuser...
    16
    Nadege
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:43
    Nadege
    Péché "d'humilité" ? Ca ne vous ressemble pas :)
    17
    Gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:43
    Gudule
    Ben non, juste politesse : j'aurais peur d'abuser, quoi.
    18
    Nadege
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:43
    Nadege
    On n'abuse pas des bonnes chose :)
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