-
GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 179
Bas de laine
Mon père n’aimait pas les banques. En bon épargnant d’avant-guerre, il gardait ses sous à portée de main, loin des spéculations de la haute finance. De sorte qu’à sa mort, j’héritai d’un somme rondelette en liquide.
Se posa alors la question : j’en fais quoi ? (en attendant de la dépenser, je veux dire). La déposer sur mon livret de caisse d’Epargne ? Non, je ne pouvais pas faire ça à papa. La conserver chez moi ? Était-ce bien prudent ? Les cambrioleurs connaissent toutes les combines. Ils vident les tiroirs, éventrent les matelas, soulèvent les lattes du plancher... À cette perspective, je frissonnais d’horreur.
Bref, moi qui, n’ayant rien à voler, avais toujours vécu les portes ouvertes, je commençai à me barricader. Et, tel le savetier de la fable, je découvris les affres de la parano. L’inquiétude me réveilla la nuit ; je n’osai plus m’absenter, convaincue que des hordes de malfrats, ayant reniflé l’odeur du pognon, rôdaient autour de mon appartement, la bave aux lèvres...
C’était positivement infernal.
Par bonheur, tout problème a sa solution. Celle-ci m’apparut un matin, lumineuse. J’avais une vidéothèque remplie à craquer. Or, où est-on mieux planqué que dans la foule ?
Ni une ni deux, je sortis cinq boitiers au hasard et en virai le contenu que je remplacai par des billets de banque. Puis, sûre d’avoir trouvé LA cachette idéale, je me remis à vivre peinarde, comme avant. En prétant mes DVD à n’importe qui, entre autres...
Sylvain, mis au courant de mon idée géniale quelques semaines plus tard, ne la trouva pas géniale du tout. Sur ses conseils, je partis à la recherche des cinq boitiers-tirelires, disséminés un peu partout dans l’étagère, et n’en retrouvai que quatre. L’un d’eux — « L’Age de glace », pour être précis — avait disparu. Où ? Quand ? Comment ? Mystère.
J’ai tout retourné dix fois, vingt fois, en vain. Ça m’a pris la tête durant une bonne semaine, et puis bon, je me suis dit que la leçon valait bien un fromage. Et j’ai racheté un boitier vierge pour « L’Age de glace ».
-
Commentaires
1Benoît BarvinLundi 23 Juillet 2012 à 07:54Répondre
Quand j'étais jeune marié et qu'il nous arrivait d'avoir un gros billet (c'est-à-dire chaque fois qu'il nous tombait un oeil), on le mettait entre les pages d'un bouquin. Or, on n'était pas riches, mais on avait des centaines de livres, et on ne retrouvait jamais le fric. On a certainement enrichi les potes à qui on les prêtait.7GuduleVendredi 29 Août 2014 à 13:448GuduleVendredi 29 Août 2014 à 13:449@ le 2Vendredi 29 Août 2014 à 13:4410guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:4411guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:4412guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:4413guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:44
C'est une belle histoire, n'empêche.14fredericVendredi 29 Août 2014 à 13:44
Pour rebondir sur le commentaire de Castor Tillon, un de mes oncles, déménageur de son état, débarrasse un jour la maison d'une vieille dame sans enfant, ni héritier, et qui s'en était allée au ciel. Dans le bazard, mon oncle récupère des caisses de livres destinés à partir en décheterie. Il a eu pitié de ces pauvres bouquins, et grand bien lui en a pris... chacun d'entre eux contenait un, voire plusieurs billets, glissés entre les pages. La bibiothèque était le coffre fort de la mamie...
Ajouter un commentaire