• GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 173

    Crottin

      Dire qu’adolescente j’étais une cancre serait un euphémisme. Après avoir redoublé ma sixième, passé de justesse en cinquième et redoublé ma quatrième, je me trouvais, à la fin de ma troisième, en ballottage. Bien que brillante en français, j’étais exécrable dans toutes les autres matières et en particulier en maths. Or, depuis ma sixième, je me trimballais la même prof — et, après tout, ceci explique peut-être cela.

             Mademoiselle Rostain (que nous surnommions, bien entendu, Crottin), était une vraie peau de vache. Elle ne se préoccupait que des bonnes élèves, raillait les mauvaises et les laissait croupir dans leur ignorance. Perso, ça m’arrangeait : j’écrivais des poèmes pendant ses cours. En revanche, l’algèbre, la géométrie, la trigonométrie et autres projections orthogonales restaient pour moi d’insondables mystères...

             Bref, mon passage en seconde étant fortement compromis —  sauf si je réussissais « l’examen de la dernière chance », fin août —, mes parents se mirent en quête de cours particuliers.

             Crottin, qui devait avoir besoin d’argent, proposa ses services. De sorte qu’au lieu de partir, comme chaque année, au bord de la mer, nous restâmes à Bruxelles pour que je puisse la voir trois fois par semaine.

             Ce fut horrible.

             Enfin... pas tant que ça, à la réflexion. Car cette prof, qui pour la première fois se mettait à ma portée, m’ouvrait d’étonnants horizons. Elle expliquait ; je comprenais. Et je m’émerveillais de comprendre. Il s’en fallut de peu que les maths ne m’intéressent !

             Vint le jour de l’examen — que, ô surprise, elle surveillait. Nous étions une quinzaine, toutes classes confondues. C’était, bien entendu, Crottin qui avait préparé mes questions. Elles portaient, comme par hasard, sur ce que je connaissais le mieux. Lorsque je reçus ma feuille, je levai la tête vers elle avec reconnaissance. Elle me sourit, complice. La chose me toucha d’autant plus qu’elle n’enseignait pas en seconde. En gros, je la découvrais au moment de la perdre...

             Après la séance, je m’empressai d’aller la remercier.

             — Pas de quoi, me répondit-elle d’un ton sec. Je l’ai fait pour moi : je n’aurais pas pu vous supporter une année de plus. 


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  • Commentaires

    1
    Mercredi 11 Juillet 2012 à 08:38
    Benoît Barvin
    Ce sont des choses qu'on ne dit pas mais qu'on pense forcément, en tant que prof (je l'ai été 5 ans et je sais de quoi je parle)... Je rends moi aussi "hommage" à mon prof de latin - en Fac des Lettres - qui, après deux années (j'avais redoublé) m'a donné la moyenne en me disant à peu près la même chose que ta "Crottin". Lui, par contre, était un très agréable professeur et moi, un cancre fini - uniquement en Latin, je précise...
    2
    Mercredi 11 Juillet 2012 à 09:58
    Tororo
    Je me souviens de ma solitude face à un prof de maths qui me demande de répondre à une question qu'il trouve très simple, en m'aidant de ce qu'il vient - croit-il - de m'expliquer (à ceci près qu'il aurait aussi bien pu me parler grec).
    Diviser par zéro.
    Diviser par un nombre négatif.
    Une de ces opérations est impossible.
    L'autre n'a pas de sens.
    Laquelle est impossible?
    Laquelle n'a pas de sens?
    Je me creuse la tête, mais je n'arrive pas à trouver la moindre différence entre "opération impossible" et "opération qui n'a pas de sens".
    Alors à tout hasard je dis "Mais, ça n'a pas de sens de faire une opération impossible!"
    Et il croit que je me fiche de lui.
    Alors que j'e n'ai probablement jamais fait autant d'efforts que ce jour-là pour comprendre les mathématiques.
    3
    Mercredi 11 Juillet 2012 à 13:42
    Tororo
    J'espère que je serai dans ta classe l'année prochaine. ^____^
    4
    Jeudi 12 Juillet 2012 à 18:25
    Crayon d'bois
    Certains professeurs sont prêts au pire mensonge pour éviter d'avouer qu'ils aiment leurs élèves. Je veux bien parier que c'était le cas.
    Quant à être nulle en maths, difficile de vous croire, vous alternez avec beaucoup de rigueur feuilleton et moments de solitude !
    Et comme vous aimez les histoires, une très connue mais que j'aime.
    A l'université un professeur de mathématiques s'étonne : un de ses élèves a déserté l'amphi. Il se renseigne, on lui dit qu'il a préféré tenter sa chance en littérature.
    — Ça ne m'étonne pas, répond-il, ce garçon m'avait toujours paru manquer d'imagination pour réussir en mathématiques !
    5
    Jeudi 12 Juillet 2012 à 21:37
    La Zèbre
    J'ai eue une prof d'anglais comme ça. Deux années de suite. Le premier jour de la cinquième, le prof principal trace l'emploi du temps au tableau.
    6
    Jeudi 12 Juillet 2012 à 21:40
    La Zèbre
    Pardon pour le précédent commentaire, les guillemet ne marchent pas:
    J'ai eue une prof d'anglais comme ça. Deux années de suite. Le premier jour de la cinquième, le prof principal trace l'emploi du temps au tableau. "Le mardi à 9h vous aurez anglais avec (je l'appelais la Dinde)" La classe ne fut jamais aussi unie que cet instant où, la quasi totalité des élèves, ayant déjà eu la prof en question, hurlaient "NOOOON!!!"
    7
    Vendredi 13 Juillet 2012 à 11:25
    La Zèbre
    Et remarquez que nous avons en commun de les affubler de noms évoquant tout sauf la douceur, l'empathie et la gentillesse (qualités dont je pense qu'elles n'ont jamais entendu parler).
    8
    Vendredi 13 Juillet 2012 à 12:19
    Castor tillon
    Je suis content que ta prof t'ait témoigné, quoiqu'elle en dise, un peu de compassion. Le mien, de prof de maths 6è et 5è, avait développé une profonde aversion à mon endroit, et je ne parle même pas de l'envers. Quand il rendait les devoirs, c'était : "Aujourd'hui, le Castor n'a pas rendu une feuille blanche : il a mis son nom !". Et quand je levais la main pour qu'il m'explique un truc : "C'est pas la peine que je me fatigue, tu ne comprendras jamais !"
    En réalité, il était jaloux, parce que j'étais le chouchou du prof de français.
    9
    Gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:44
    Gudule
    Ah, ces souvenirs qui en suscitent d'autres... C'est exactement pour ça que j'écris les Solitudes. Pour qu'on me raconte, à moi aussi, de belles histoires. Merci, monsieur Barvin !
    10
    Gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:44
    Gudule
    Il était con, ce prof. Parce que ta réponse pleine de bon sens — et qui, par un savant calcul, contenait en son sein l'ensemble des deux question — méritait récompense ! C'est bien la peine de se donner du mal pour des gougnafiers pareils !
    11
    Gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:44
    Gudule
    M'en parles pas : mes quelques tentatives, comme prof de dessin dans une école privée au Moyen-Orient, ont été complètement catastrophiques. Les élèves se marraient tellement, dans mon cours, que ça s'entendait dans tout l'établissement. Paraît que ça s'appelle du chahut. Moi, je trouvais juste que c'étaient de bons moments.
    12
    Nadege
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:44
    Nadege
    J'en ai deux comme ça au collège, en alternance. C'est vrai que coller un élève au fond de la classe et l'enfoncer, ça va l'aider à être meilleur en maths...
    13
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:44
    gudule
    La preuve ! Je suis toujours aussi nulle un demi-siècle après !
    14
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:44
    gudule
    Ah ah ah ! Bel élan collectif !
    15
    Gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:44
    Gudule
    Ouaip, des noms stupides, n'ayons pas peur des mots. Mais bon, on se venge comme on peut, hein ! Parce que la guerre des élèves et des profs, c'est comme celle des moutons et des roses, ou des écrivains et des éditeurs : c'est éternel !
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    16
    Gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:44
    Gudule
    Aujourd'hui, je suis bien convaincue que les mathématiques sont la musique des astres. Une science éminemment poétique, universelle, stellaire. Mais lorsque j'étais jeune, je trouvais cette matière mortellement ennuyeuse. Faute, peut-être, d'avoir eu un prof capable de me convaincre de son intérêt, et des portes fabuleuses qu'elle pouvait m'ouvrir...
    Non, honnêtement, je ne pense pas que Crottin m'aimait. Aimait-elle qui que ce soit, d'ailleurs ? Certains profs sont des entités inhumaines, programmées uniquement pour une fonction précise. Nous faire chier, entre autres. C'était sûrement son cas.
    17
    Gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:44
    Gudule
    Et le pire de tout, c'est qu'il était drôle ! L'humour devrait être interdit aux profs sans cœur. Ah, si j'étais dictateur...
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