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grands moments de solitude 171 (tome 2)
Le chapelet
C’était une manie, chez mes parents. Pire, même : un tic. Dès qu’ils avaient un moment libre, ils récitaient le chapelet. A deux voix, s’il vous plaît ; trois quand ils parvenaient à m’entraîner dans la combine. Promenades à pied ou en voiture, piqueniques, soirées au coin du feu, instants de détente et de loisir, étaient systématiquement court-circuités par ces Je vous salue Marie et ces Notre père marmonnés d’un ton monocorde, tels les mantras d’un moulin à prières.
« Dire que, pendant ce temps-là, nous pourrions discuter, partager nos points de vue, confronter nos idées », regrettais-je souvent. Hélas, mes sollicitations ne faisaient pas le poids face à l’emprise extrême du pieux baragouin.
Et ça, c’était compter sans les petits pois et les mangetout ! Lorsqu’assises côte à côte, nous épluchions les légumes du repas, nous eussions pu communiquer, maman et moi. Échanger des confidences, évoquer des souvenirs communs, voire même jouer aux devinettes, à Jacques a dit, ou au portrait. Mais que dalle ! À chaque cosse évidée, à chaque haricot équeuté, elle murmurait : « Ayez pitié de nous, Seigneur », et si je restais muette, un coup de coude bien placé me ramenait illico à de meilleurs sentiments. Ainsi, les litanies religieuses eurent-elle raison de notre hypothétique complicité, renforçant encore, si besoin était, l’incompréhension générationnelle qui nous séparait.
Parlez-moi, après ça, des bienfaits de la prière !
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