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GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 16
Pédophile, poil aux cils
Nouvellement installée dans un petit village d'une centaine d'habitants, j'éprouvais le besoin de me faire des amis — normal : l'homme est un animal social, et moi en particulier, bien que je sois une femme. Or, j'avais pour voisin un charmant vieux monsieur, érudit, écrivain à ses heures, solitaire mais néanmoins fort heureux de fréquenter des "gens de son bord" (entendre par là "barbotant dans la chose écrite"). Commence donc, entre nous, une relation exquise : thé au coin du feu, petit biscuits, longues dissertations sur Pierre Loti, Paul Valery ou Sainte-Beuve. Georges de Roche-Amand — eh oui, c'est le nom du vieux monsieur, son vrai, pas un pseudo ! — m'offre ses œuvres : deux opus de légendes locales dont j'apprécie le style désuet et précieux. Il me fait également cadeau d'une ravissante curiosité : un petit "Roméo et Juliette" de dix centimètres sur huit, relié tout cuir. Je ne peux moins faire que de lui rendre la pareille. Mais lequel de mes livres lui offrir, qui présente pour lui un quelconque intérêt ? Nous ne sommes pas du tout sur la même longueur d'ondes...
Le hasard vient à mon secours, en la personne de Mickaël Jackson dont le procès pour pédophilie défraye justement la chronique. Georges, très au fait de l'actualité, en arrive forcément à le commenter. La conversation glisse sur la maltraitance enfantine, et là, éclair de génie : je vais lui offrir La mort aux yeux de porcelaine, paru chez Flammarion l’année précédente, dont le thème est, justement, comme ça se trouve, la pédophilie. Et, coïncidence encore plus frappante, dont le héros principal est inspiré de Mickaël Jackson.
— J'espère que vous ne serez pas choqué par mon écriture, dis-je en lui tendant l'ouvrage. Ma plume n'est pas aussi délicate que la vôtre, hu, hu, hu...
Il m'assure qu'un langage un peu vert n'est pas pour lui déplaire, remercie, et s'en va tout content, son cadeau sous le bras.
Je ne le revois plus.
Mais plus du tout, hein !
Si, une fois, je l'aperçois de dos, sur les remparts, mais à l'appel de son nom, il ne se retourne même pas, et lorsque je me dirige vers lui, il s'esquive prestement.
Ahurie par ce mystère, j'en parle autour de moi. Je ne récolte que gloussements et rires sous cape, jusqu'à ce qu’une voisine vende enfin la mèche. Georges de Roche-Amand, homosexuel notoire (ah bon ?) a été jadis, affirme la rumeur publique, mêlé à une affaire de "ballets bleus" qui défraya le chronique. Et comme ce genre de rumeur — vraie ou fausse, et plus souvent fausse que vraie — vous colle aux baskets pour longtemps, d’aucuns le soupçonnent encore de s'intéresser d'un peu trop près aux petits garçons...
Pure malveillance, bien sûr, mais qui fait de lui une sorte de paria.
Je me battrais bien, tiens ! Entre les quelque deux cents titres dont je suis l'auteure, il a fallu que je lui offre justement ce livre-là, me mettant involontairement dans le camp de ses détracteurs. C'est tout moi, ça !
Encore une maladresse que je ne me pardonnerai jamais (ni lui non plus).
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Commentaires
1benoît barvinMardi 3 Janvier 2012 à 09:09Répondre
Et oui, on veut bien les litanies de Sainte-Gudule du Sacré-Coccyx^^
Dixit (presque) Cavanna :
"Pour faire disparaître radicalement une grosse bosse, il suffit d'appliquer dessus une feuille de papier sur laquelle sont écrites les litanies de Sainte Gudule du Sacré Coccyx, tracées de la main d'une jeune vierge et bénites par le pape, puis de frapper sur la feuille avec un marteau jusqu'à ce que la grosse bosse ait disparu."7GuduleVendredi 29 Août 2014 à 13:508GuduleVendredi 29 Août 2014 à 13:509Jean-Michel ArchaimbVendredi 29 Août 2014 à 13:50
La preuve, elle est mentionnée pour ses litanies miraculeusement curatives par Cavanna dans "Le saviez-vous ?", dont voici l'extrait présentement disponible :
"...il suffit d'appliquer dessus une feuille de papier sur laquelle sont écrites les litanies de Sainte-Gudule du Sacré Coccyx, tracées de la main d'une..."
Promis, je vous envoie la version complète ce soir ou au plus tard demain matin.10GuduleVendredi 29 Août 2014 à 13:50
@ Castor : ce pauvre Georges, qui avait été en son temps (ça, c'est lui qui me l'a dit) secrétaire particulier de Charles Trénet, n'a pas toujours dû rigoler, confronté aux préjugés de ses concitoyens. Il avait, par chance, un esprit caustique assez redoutable, qui le mettait à l'abri des affrontements directs. N'empêche qu'il a dû se sentir drôlement trahi par moi, et d'une manière particulièrement perfide. Avec juste un bémol : le héros de mon livre est abusivement accusé de pédophilie, puisqu'en dépit de son goût pour les jeunes garçons, il ne passe pas à l'acte.11GuduleVendredi 29 Août 2014 à 13:5012laurenceVendredi 29 Août 2014 à 13:5013GuduleVendredi 29 Août 2014 à 13:50
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