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GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 159
Pornographie
Dans les années 70, mes parents venaient, tous les trois ou quatre mois, passer quelques jours chez nous, en banlieue parisienne. À chaque fois, c’était le branle-bas de combat. On rangeait la maison de fond en comble, on lavait les carreaux, on tondait la pelouse, et on faisait disparaître toutes les BD « salaces » : Hara-kiri, L’Echo des Savanes, Charlie hebdo, Fluide Glacial, etc. Bref, notre joyeux bordel se métamorphosait en un foyer modèle.
Mais maman avait un œil de lynx. Rien ne lui échappait. En dépit de nos efforts, elle dénichait toujours le détail qui clochait, dans ce décor factice. C’était un fin limier, ma mère !
Cette fois-là, en cherchant de la lecture dans le porte-journaux, elle tomba sur un « F Magazine », l’hebdomadaire de Claude Servant-Shreiber que j’avais placé bien en évidence. Un truc sans danger, qui faisait sérieux. Des articles de fond, des reportages, des interviews de femmes édifiantes, style Edith Cresson ou mère Teresa... En gros, nulle trace d’humour ni surtout de gaudriole.
Enfin, je le croyais.
Je me trompais, hélas. Car, dans ce numéro — précisément celui-là — qu’y avait-il ? Je vous le donne en mille. Un dossier sur la masturbation féminine.
À cette vue, le sang de ma mère ne fit qu’un tour.
— Quel torchon ! explosa-t-elle. Comment oses-tu laisser de telles obscénités à la portée de tes enfants ? Tu es complètement inconsciente, ma parole ! Si la pornographie t’amuse, ça te regarde, tu es adulte, mais ne pervertis pas des âmes innocentes !
J’eus beau lui expliquer que Frédéric et Olivier — neuf et six ans — n’en avaient rien à battre des revues féministes, elle ne voulut pas en démordre. L’engueulade terminée, elle fit ses bagage, entraîna mon père consterné, et ils partirent sur l’heure. Pour fuir ce lieu de perdition, sans doute...
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Commentaires
1Benoît BarvinMercredi 13 Juin 2012 à 08:57Répondre
et si un beau matin c'étaient les petits enfants qui venaient trouver à redire sur le contenu de vos porte-revues... Parce que, eux, ils sont bien un peu le fruit de notre éducation, tandis que nos parents...
Je me glisse peut-être un peu insolemment parmi vos lecteurs sans trop me présenter, mais, moi, je me régale à feuilleter votre quotidien, alors je prends prétexte de ce plaisir pour laisser une trace sous votre billet.
Les mômes, c'est ça. Il n'y a vraiment que les adultes pour en faire un cake.7GuduleVendredi 29 Août 2014 à 13:458GuduleVendredi 29 Août 2014 à 13:459GuduleVendredi 29 Août 2014 à 13:45
@ Castor : ah, les cartes coquines, Sylvain en a quelques jolis exemplaires. Mais pour en revenir à ma maman, elle a crisé AUSSI sur les délicieuses "Histoires d'amour de l'Histoire de France" de Guy Breton. Alors, bon, faut vraiment relativiser !10GuduleVendredi 29 Août 2014 à 13:4511GuduleVendredi 29 Août 2014 à 13:45
@ Gringoteq : Bah, l'hypocrisie ou l'excès de pudeur, c'est pas drôle. Et du coup, je verrais pas l'intérêt de raconter tout ça...12FloreVendredi 29 Août 2014 à 13:45
Celui-ci, on dirait presque un acte manqué.
J'ai fait pas mal dans le même genre : communion de ma filleule, la famille bien catho, alors je m'habille bien (bon, j'avais oublié de mettre le réveil, donc on a raté la messe), je me grime en jeune femme bien sous tous rapports (vivant dans le péché, certes, mais chut), bref, pas question de faire honte à ma filleule. Je n'oublie pas le cadeau : des BD (le vent dans les saules, un truc mignon tout plein qui passe la censure et tout) achetées chez mon libraire préféré, paquet cadeau, tout ça. Je dis bonjour à tout le monde "Marie-Chantal, comment allez-vous, très chère ?" (j'ai raté ma vocation d'actrice) puis sors le paquet cadeau et regarde négligemment le sac de la librairie : la couverture du dernier Soda, col romain et magnum 357 à la main, ça faisait une heure que je promenais ce sac partout en discutant avec tout le monde... Au temps pour l'illusion BCBG !
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