• grands moments de solitude 157 (tome 2)

     

                               Dardie (petit conte macabre)

     

             Lorsque Nina avait sept ans, elle m’écrivait régulièrement. La teneur de ses lettres était toujours la même: « Gudule, je t’aime, envoie-moi une Dardie princesse (ou danseuse, ou sirène, ou fée, ou drag queen…) ». Il s’agissait de Barbie, évidemment, mais Nina confondait les D avec les B, ce qui m’évita, durant des années, de donner au consternant jouet le nom d’un bourreau nazi. Pour moi, ces affreuses pin-up de plastique, c’étaient juste des dardies, point barre.

             Incapable de résister à la craquante dyslexie de ma petite-fille, je lui achetais donc les pin-up en question, dont le coût prohibitif me foutait à chaque fois les boules.

             Imaginez, alors, quand je les retrouvais toutes démantibulées entre les pattes des chats, ou abandonnées au fond du jardin, couvertes de terre et d’excréments !  

             Un jour, exaspérée par cette gabegie, je propose à Nina et à sa sœur Barbara :

             — Si nous ramassions les morceaux de dardies qui traînent un peu partout ? Nous pourrions leur faire un bel enterrement, qu’en pensez-vous ? Au moins, elles serviraient encore à quelque chose.

             Enthousiasmées par ce projet, mes deux mirguettes se mettent aussitôt à l’ouvrage. Elles dégagent un petit lopin de terre, le clôturent, le bordent de fleurs coupées, et nous voilà parties à la pêche aux dépouilles.

             — C’est rigolo, constate Barbara en entassant les résidus de poupées dans un panier : la première chose qu’elles perdent, c’est la tête, puis les cheveux, puis les bras et les jambes. À la fin, il ne reste plus qu’un ventre tout pourri, et une paire de fesses encore plus pourrites.

             Ces ventres, ces fesses et le reste, nous creusons des petits trous pour les y enfouir, et sur chaque tombe nous inscrivons l’identité de son occupante. Puis nous allumons des mini-bougies en chantant solennellement : « Au pays des dardies, comme dans tous les pays, on s’amuse, on pleure, on rit, il y a des méchants et des gentils », sur le générique du dessin animé Candy.

     

             Petit aparté : J’ai repris l’idée de cimetière de Barbies dans mon roman Danger, camping maudit !paru en 2001 aux éditions Nathan. Comme quoi mes bouquins sont vraiment autobios… et même prémonitoires, parfois. Car le cancer qui me ronge aujourd’hui a des effets étrangement semblables à ceux constatés par ma petite-fille : dans un premier temps, j’ai perdu la tête, ensuite les cheveux, pour finir par l’usage d’un bras et d’une jambe...

             Ainsi, après toute une vie à vomir sur la mode, se retrouve-t-on poupée mannequin, en fin de parcours.

     

    « grands moments de solitude 156 (tome 2)grands moments de solitude 158 (tome 2) »

  • Commentaires

    1
    Pata
    Lundi 16 Novembre 2015 à 13:04

    Ironie cruelle de la vie, finement relevée par Gudule...

     

    Oui, elle en écrit quantité, de petits contes cruels la vie, la preuve en ce moment encore :(

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :