• GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 156

    Gédéon

              Pendant mon mois de vacances au château d’oncle Albert naquit, dans l’étang, une portée de canetons.

             — Je t’en donne un, si tu veux, dit Léon, grand prince. Choisis-le.

             Après avoir longuement tergiversé, je jetai mon dévolu sur un petit canard que je prénommai Gédéon, comme le héros des livres de Benjamin Rabier.

             Très vite, j’éprouvai pour lui une véritable passion. Vingt fois par jour, je lui rendais visite, munie de bouts de pain, de biscuit, de brioche qui lui étaient exclusivement destinés. Je chassais tous les autres s’ils voulaient y toucher ! Aussi, dès que mon caneton m’apercevait de loin, se précipitait-il vers moi en cancanant. Ce que j’interprétais comme un signe d’affection...

             —Il m’aime plus que sa maman, affirmais-je à Léon, qui ne me contredisait jamais.

             Hélas, mon séjour touchait à sa fin, et vint l’heure de la séparation. Je pleurai en quittant Gédéon, et fis mille recommandations à mon cousin, qui promit tout ce que je voulus. Oui, il vieillerait sur lui, oui, il le gâterait, oui, il lui parlerait de moi, oui, il me donnerait régulièrement de ses nouvelles...

             Il n’en fit rien, bien entendu. Et aux vacances suivantes, mon premier soin fut de courir voir Gédéon.

             Il avait disparu.

             Léon, pressé de questions, finit par m’avouer que, peu de temps après mon départ, il était passé à la broche.

             — Forcément, c’était lui le plus gros, précisa-t-il. Avec tout ce que tu lui donnais à manger...

             Ainsi appris-je avec effroi que l’amour le plus pur peut être meurtrier. Ce fut une grande leçon de vie, je trouve ! 


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  • Commentaires

    1
    Jeudi 7 Juin 2012 à 08:04
    Benoît Barvin
    "L'amour le plus pur peut être meurtrier"... Voilà, Chère Soeur, que vous "apophtegmez" vous aussi... En fait, en cachette, vous étiez entichée de votre cousin et, sans le savoir, aviez des talents de cuisinière que vous développâtes, plus tard... C'est cela la Vérité, n'est-ce pas?
    2
    Jeudi 7 Juin 2012 à 19:23
    Martine27
    On m'a fait le même coup avec un poussin de Pâques devenu un superbe coq. Le petit plus, c'est qu'on me l'a servi à manger !!!
    3
    Jeudi 7 Juin 2012 à 22:31
    Castor tillon
    http://nsm05.casimages.com/img/2012/06/07//1206071031461432899955955.jpg : en effet, il a l'air bon, miam miam.
    On ne peut pas penser à tout non plus, n'est-ce pas ?

    Ma grand-mère, qui avait un petit pavillon-jardin-poulailler à Chelles, était connue pour aimer les animaux, et une de ses voisines qui déménageait à la ville était venue en larmes lui confier sa dinde apprivoisée, puisqu'elle ne pouvait pas l'emmener. Grand-mère l'a consolée comme elle a pu en promettant d'en prendre grand soin. Dindinette a passé Thanksgiving sans problème, mais pas Noël, qui a eu sa peau.
    4
    Jeudi 7 Juin 2012 à 22:53
    Castor tillon
    Il faut absolument qu'on parle de ça à l'éditeur de Lunatik, qui se pseudote Saturnin !
    5
    Jeudi 7 Juin 2012 à 22:59
    Castor tillon
    Noël est encore loin, il a le temps d'engraisser un peu.

    S'il tombe sur cette page, je peux faire ma prière. Il est balaise, en plus.
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    6
    Samedi 9 Juin 2012 à 13:32
    Lunatik
    Mon éditeur étant un être exquis*, sans même qu'il soit besoin de le laquer, je vous interdis formellement toute tentative de gavage ou d'engraissement sur sa personne (de toute façon, en fin de salon, généralement il est à point, avec tout ce qu'on s'empiffre sur (et hors) le stand...)


    *un oiseau rare, en somme, ce Saturnin
    7
    Gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:45
    Gudule
    Apophlegmon vous-même, cher ami ! Et, ne vous en déplaise, je n'ai pas empoisonné mon cousin chéri avec du magret sauce cyanure. J'ai été sincèrement malheureuse, et Léon aussi, vu qu'il m'aimait beaucoup mais était un tout petit peu débile (au sens clinique du terme). O tempora, ô mores, comme disait l'autre...
    8
    Gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:45
    Gudule
    AAAAAARGH ! Ça, c'est carrément sadique !
    9
    Gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:45
    Gudule
    Oh, la belle image de Gédéon !
    Sinon... je ne voudrais pas dire du mal de ta grand-mère, mais quand même ! Remarque, ma mère a fait pareil avec un certain Donald, pendant la guerre. Je n'étais pas encore née, heureusement, mais ni elle, ni mon père, ni mes deux frères n'ont eu le cœur assez bien accroché pour le manger, et il a fini dans l'assiette des voisins. Bonjour le gâchis !
    10
    Gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:45
    Gudule
    Oh mon dieu, le pauvre homme !
    11
    Gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:45
    Gudule
    Bah, je le connais, ces éditeurs : il suffit de les appeler "mon canard" pour qu'il craquent !
    12
    Gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:45
    Gudule
    Bah, il me suffit de savoir que ce Saturnin-là est belge pour que s'éteigne en moi tout désir sacrilège (oups ! Un alexandrin !). De toute façon, un homme qui publie d'aussi bons textes mérite qu'on jeûne un peu. Parce que bon, déjà que les éditeurs ne courent pas les rues, si on commence à les bouffer, qui c'est qui publiera nos textes ? Les canards ?
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