• grands moments de solitude 153 (tome 2)

     

                                      Serial menteuse

     

             Si je n’étais pas menteuse, je n’aurais jamais écrit

                                                            Colette

     

             Du plus loin que je me souvienne, le mensonge a toujours fait partie de ma vie. Et je ne parle pas que du mensonge utile, celui qui vous évite une punition ou une embrouille. Ce mensonge-là est sans saveur : c’est de la légitime défense.

             Tuer par nécessité n’a jamais fait jouir un serial killer. Ce qui l’excite, c’est le crime gratuit, sans autre raison d’être que la beauté du geste. De même, mes mensonges n’avaient pour unique objectif que le plaisir (« le vice » eût rectifié ma mère). C’était mon hobby ; un divertissement pur, comme l’art, la musique ou le sport.

             — Tu nous racontes des fariboles, me reprochait mon entourage lorsque je narrais, avec force détails, un événement imaginaire en le présentant comme authentique.

             C’était vrai.

             — Tu mens comme tu respires, me disait-on encore.

             C’était vrai également.

             ­ — Comment veux-tu qu’on te croie si tu racontes n’importe quoi ?

             Bah, qu’on me croie ou non, ça m’était bien égal : le but de la manœuvre n’était pas de convaincre mais d’inventer ; d’offrir à mes fantasmes ce précieux exutoire : l’oreille d’une tierce personne. Ou mieux encore : son effarement.

             Etais-je mythomane ? Point du tout, je vous l’assure. La mythomanie est une névrose. Ceux qui en sont atteints mentent contre leur gré. Moi, je mentais sciemment, comme on mange un bonbon ou du chocolat blanc. Je savourais chaque bouchée en connaisseuse, et plus le mensonge était gros, plus il désarçonnait mon interlocuteur, plus je prenais mon pied. Ainsi ai-je affirmé, à une copine de sixième, avoir un petit ami américain nommé Johnny qui m’envoyait des lettres d’amour torrides — lettres que j‘écrivais moi-même, bien entendu, jusqu’à ce que la copine s’étonne :

             ­ — Dis donc, pour un Américain, il est drôlement fortiche en français, ton Johnny ! Pas une seule faute d’orthographe en cinq pages !

             Oups ! Trahie par mon point fort ! Dès lors, je m’efforçai de truffer mes lettres d’erreurs, ce qui, de prime abord m’amusa beaucoup (après tout, estropier la syntaxe était un mensonge comme un autre — et plus habile encore, puisqu’il ne s’adressait qu’aux « initiés », le commun des mortels étant hermétique aux évidences grammaticales).

             Hélas, je fus surprise en pleine forfaiture par la prof de français ( car j’écrivais pendant les cours).

             — Apportez-moi cette feuille, exigea-t-elle.

             Vu la teneur de la feuille en question, j’obéis à reculons.

             Mais, l’ayant parcourue d’un regard distrait, l’enseignante ne releva ni les déclarations enflammées, ni les petits noms tendres, ni les situations scabreuses que j’y mentionnais. Elle se contenta de pointer chaque faute au Bic rouge et, en représailles, m’obligea à copier une cinquantaine de fois la règle de l’accord des participes passés.

     

     

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  • Commentaires

    1
    Samedi 7 Novembre 2015 à 08:18

    La serial-corrigeuse a gagné.

    2
    Dimanche 8 Novembre 2015 à 08:41

    J'avoue que  c'est plus joli que de lui foutre la honte... :D

      • Pata
        Lundi 16 Novembre 2015 à 13:14

        Et ô combien plus ludique :)

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