• grands moments de solitude 148 (tome 2)

     

                                         Papa et les femmes

     

            Au siècle dernier, tout était prétexte à misogynie. A croire que les hommes avaient si peur des femmes qu’ils cherchaient sans cesse de nouveaux arguments pour les rabaisser. Sous couvert de lieux communs faussement scientifiques — mais surgis en droite ligne de l’inconscient collectif —, mon père, écrasé par la forte personnalité de son épouse, s’était forgé un certain nombre de théories compensatoires.

             — La nature vous a créées inférieures à nous, on n’y peut rien, m’affirmait-il d’un air contrit. La preuve : chaque mois, vous avez vos règles. Une maladie qui revient chaque mois, ça vous affaiblit, forcément !

             Et de citer, pour étayer ses dires, le vers ignoble d’Alfred de Vigny : O femme, enfant malade et douze fois impure, qui, déjà tout enfant, me faisait sortir de mes gonds.

             Ah la là, les règles ! Que de sottises j’ai entendues à leur propos ! Durant cette période « d’impureté physiologique » les ondes néfastes émanant des femmes altéraient soi-disant tout ce qu’elles touchaient. Préparaient-elles des conserves ? Des confitures ? Des sauces ? Elles les rataient systématiquement. Leur proximité faisait rancir le beurre, tourner le lait et la mayonnaise, liquéfiait le yaourt, gâtait les fruits et les légumes, perturbait la fermentation du vin, que sais-je encore ? Un seul avantage à ces a priori dénués de fondement : il suffisait de brandir le spectre du sang menstruel pour qu’on nous foute la paix. Plus de repas à préparer, plus de fruits à cueillir et à ranger dans le cellier, plus de lait ni d’œufs à aller chercher à la ferme ; papa et mes frères se tapaient toutes les corvées tandis que maman et moi tricotions tranquillement au coin du feu (car nos ondes néfastes ne corrompaient point la laine).

             Autre grand classique du genre, particulièrement irritant : l’hystérie.

             — Le nom est dérivé du latin utérus, ce qui démontre bien sa nature féminine, affirmait papa.

             La liste des maladies qui, selon lui, ne touchaient que le « sexe faible », était impressionnante — et, comme par hasard, assez humiliante : hystérie, dépression nerveuse, épilepsie, maladie d’Alzheimer, troubles neurologiques, pertes de mémoire, folie de la persécution, vapeurs, consomption, syncopes, anorexie, délires morbides… D’après les sources « scientifiques » qui le confortaient dans ses convictions, nos hormones étaient responsables de ces affections qui ne pouvaient en aucun cas atteindre les hommes, immunisés d’office par leur virilité.

             « Comment peut-on salir à ce point l’objet de ses désirs ? » me demandais-je souvent, de sorte qu’un jour, n’y tenant plus, je posai tout à trac la question :

             — M’enfin, papa, si les hommes sont tellement mieux que nous, pourquoi n’êtes-vous pas tous pédés ? Ce serait bien plus simple, non ? Et chacun y trouverait son compte.

             Suffoqué, mon père ! Moi aussi, d’ailleurs, par la claque qui suivit. Fallait pas plaisanter avec ces choses-là, dans les années soixante. L’homosexualité, c’était une maladie de femmes, pas d’hommes dignes de ce nom, immunisés d’office par leur virilité !

             Sans commentaires.

     

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  • Commentaires

    1
    Yunette
    Vendredi 30 Octobre 2015 à 11:58
    Moi jsuis PD, j'aime les hommes ! (Surtout le mien)
    2
    Pata
    Mardi 3 Novembre 2015 à 11:10

    Hé, hé... Miso parce qu'un peu maso peut-être, le papa de Gudule ?

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