• grands moments de solitude 148 (tome 2)

    .                                                            Merci, Bernard !

     

           Aux appels de cet étourneau, grand  branle-bas dans Landerneau  (G. Brassens)

     

                En 1979, à Angoulême, je croise Yvan Delporte, figure éminemment charismatique de la BD. Non content d’être le scénariste — entre autres — des Shtroumpfs, il fut, durant de longues années, rédacteur en chef de Spirou. De sorte que l’on put voir déambuler, courant 1960-70, sa célèbre silhouette voûtée et fortement barbue à l’arrière-plan des cases de Roba, Jidéhem, Morris, Will  et consorts. 

             — Je dirige, chez À Suivre, quatre pages de supplément incluses dans la revue, m’explique-t-il. Un « journal dans le journal » dénommé Landerneau, indépendant de la rédaction-mère, et auquel participent des tas de gens sympas : Franquin, Binet, Fred, Cabu, Janin, etc. Mais nous manquons de rédacteurs et surtout d’une rédactrice. Veux-tu te joindre à nous ? 

             Et comment ! 

             — Euh... c’est quoi, les limites ? m’enquis-je néanmoins. 

             — Pas de limite. Si je m’adresse à toi, c’est que je connais ton travail. Lâche-toi, ma grande, faut que ça rigole ! 

             Je me lâche donc, ce qui donne un feuilleton d’une vingtaine d’épisodes, bourré de jeux de mots d’un goût douteux et délicatement intitulé « Les aventures de Zoé Borborygme, trayeuse dans une banque de sperme ». Yvan applaudit : voilà qui va secouer son lectorat ! 

             — Non seulement on a une femme dans l’équipe, mais en plus, elle est drôle et elle bosse, clame-t-il à qui veut l’entendre. 

             Son enthousiasme sera de courte durée. Dès le deuxième épisode, la sentence tombe : monsieur Casterman ne veut pas d’immondices dans son beau journal. Zoé doit disparaître. 

    Yvan est convoqué, tancé d’importance ; il riposte vertement, le débat s’envenime, le mot « censure » est prononcé... Et, plutôt que d’éliminer purement et simplement ma chronique, comme l’exige la direction, le barbu rebelle remplace le texte par un  pavé noir, accompagné d’un magnifique dessin de Franquin me représentant, en larmes, tandis que lui-même, dans une vaste bulle, me réconforte en répétant à sa façon les mots salaces qui ont motivé mon bannissement. 

             Ce vent de révolte sonnera la fin de Landerneau. Désormais, À suivre  se passera de son supplément, devenu par trop subversif. 

    Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Franquin, avec sa gentillesse coutumière, m’offre le dessin original. Un trésor ! Trésor que je « prêterai » sottement à Charlie hebdo pour illustrer l’article dénonçant cette affaire. Et que, en dépit de mes demandes réitérées, je ne récupérerai jamais. Un petit malin, à la rédaction ou à l’imprimerie, aura mis la main dessus, et sans doute fait-il aujourd’hui la fierté d’une collection privée... 

             Quarante ans plus tard, j’ai toujours les boules.

             La quatrième de couverture du présent recueil est la reproduction de ce dessin, paru dans la presse et archivé par Bernard Joubert, écrivain et journaliste spécialisé dans la censure.  

             Merci Bernard ! 

     

    Franquin

     

    « grands moments de solitude 147 (tome 2)histoire de France 1 »

  • Commentaires

    1
    Mercredi 5 Novembre 2014 à 21:38
    Tororo

    Ah, c'est donc  ce vers qui a suggéré à Gudule la profession de Zoé Borborygme! Décidément Brassens est dans tous les bons coups. 

    2
    Mercredi 5 Novembre 2014 à 22:12

    voui, Tororo : Brassens a beaucoup influencé ma vie

    3
    Jeudi 6 Novembre 2014 à 09:19

    Je me suis vite lassé de A suivre dont le concept était plutôt frustrant. Je préférais acheter les albums quand ils paraissaient. Du coup, j'ai loupé l'affaire Zoé, zutre. Ma soeur, elle, avait toute la collec.

    4
    Lundi 17 Novembre 2014 à 08:50

    vive ta soeur !

    5
    Mercredi 8 Avril 2015 à 17:35

    Oh ben mince alors... Ce texte, écrit avant certains évènements de cette année 2015 me coupe un peu la chique... Si je l'avais lu en temps et en heure, j'aurais sans doute râlé contre l'insouciance des gars de Charlie... Et je l'aurai regretté :(

     

    Juste un mot alors : la classe d'avoir été croquée par Franquin ^^

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