• grands moments de solitude 144 (tome 2)

     

                                La main du diable

     

             Les cancers ont parfois d’étranges conséquences. Celui qui sévissait dans ma tête (oui, le dénommé Guillaume, c’est cela même) me provoquait une paralysie de la main gauche qui me handicapait beaucoup — pour écrire, en particulier. Car non seulement cette main, devenue peu à peu insensible, ne m’obéissait plus correctement, mais j’avais l‘impression qu’elle m’était étrangère. Qu’elle ne faisait plus partie de mon corps, voyez ? Pire : qu’elle était douée d’une autonomie propre au point que je finissais par en avoir la trouille. Comme si — comment dire ? — toute ma maladresse naturelle s’était concentrée dans ce membre indocile afin de perturber mes gestes quotidiens. Ramassais-je un objet ? Elle s’empressait de le lâcher. Prenais-je appui sur elle ? Elle flanchait aussitôt, me précipitant à terre. Empoignais-je une rampe, un accoudoir de fauteuil, un dossier de chaise, une poignée de porte ? Elle refusait de s’y accrocher, alors que l’instant d’avant, elle agrippait obstinément la manche dans laquelle je voulais l’introduire. Bref, elle me jouait mille tours à sa façon, ce qui, bien entendu, me foutait en rogne.

             Pourtant, ce n’était pas ça le plus flippant. Le plus flippant, c’était quand elle se faisait passer pour la main de quelqu’un d’autre, se posant à l’improviste sur ma cuisse ou sur mon épaule, telle l’empreinte glacée d’un fantôme. Que de fois je l’ai surprise, grimpant à l’assaut de mon visage comme une grosse araignée ! Ses pattes griffues parcouraient ma peau, s’attardaient sur mes joues, rampaient vers mes yeux, mon nez, mes oreilles. Combien de claques m’a-t-elle flanquées, souvent à des endroits sensibles, faisant montre, à mon égard, d’une hostilité frisant l’autopunition ? Je n’avais d’autre choix, alors, que de l’immobiliser en la coinçant dans ma ceinture ou dans ma poche, voire de l’enterrer sous quelques oreillers pour qu’elle me fiche enfin la paix.

             Un jour où je discutais avec Brigitte, elle se referma sauvagement sur son index.

             ­— Mon doigt ! Lâche mon doigt ! paniqua ma belle-fille, en repoussant l’assaillante que je m’efforçais de décrisper à l’aide de ma main droite.

             Tout en massant son doigt endolori, Brigitte s’éloigna de moi.

             — Pauvre Michel, l’entendis-je murmurer d’un air compatissant.

     

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  • Commentaires

    1
    Dimanche 25 Octobre 2015 à 05:13

    Oui, hein. Certaines parties de l'anatomie apprécient peu d'être manipulées comme un flacon de ketchup.

    2
    Dimanche 25 Octobre 2015 à 18:56

    Arf je pense à la main d'Olivier Ka à la fin de son sketch Aujourd'hui la vie est un cadeau

    https://www.youtube.com/watch?v=hC8cdZpfME0

    3
    Pata
    Mercredi 28 Octobre 2015 à 23:42

    Joli parallèle Méo :)

    Une main qui se déballe contre une qui s'est emballée...

     

     

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