• GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 144

    Do si do si ré ré mi

       Le frère cadet de maman, oncle Albert, avait loué, dans la banlieue chic de Bruxelles, un château du XVIIIème siècle pour en faire un restaurant de luxe. Il y organisait les banquets de mariage, de baptême ou de communion de la riche bourgeoisie belge.

             C’était un lieu magique, digne de la Belle au bois dormant. Le parc, subtil mélange de jardin à la française et de nature sauvage, était entouré de hauts murs. Au fur et à mesure qu’on s’éloignait des bâtiments, il se muait en une forêt profonde, flanquée d’un étang plein de canards.

             Léon, le fils d’oncle Albert et de tante Ninette, avait deux ans de plus que moi. Nous nous entendions à merveille, de sorte que sa mère proposa à la mienne de m’inviter pendant les vacances. La réponse tomba comme un couperet :

             — D’accord, à condition qu’elle fasse deux heures de piano par jour.

             — J’y veillerai personnellement, promit tante Ninette.

             Cela mit, oserais-je dire, un bémol à ma joie. Jusqu’à ce que je trouve la parade.

             Je connaissais par cœur une musiquette d’une facilité déconcertante. Je la jouais sans réfléchir. Do si do si ré ré mi, ré mi sol fa mi ré do. Je pris donc l’habitude, durant mes deux heures de « corvée » (sur un splendide piano chinois des années trente, laqué rouge vif et orné d’un dragon aux yeux d’or) — je pris, disais-je, l’habitude de jouer ce petit air en boucle. Ma tante, qui m’écoutait d’une oreille distraite tout vaquant à ses occupations, n’y vit que du feu. Et moi, je pus, tant mes doigts connaissaient par cœur la ritournelle, bavarder et rire avec mon cousin sans interrompre le chapelet de notes.

             A la fin des vacances, Léon, sa mère, son père, le maître d’hôtel et la cuisinière — ainsi qu’une bonne partie de la clientèle, je pense — fredonnaient obsessionnellement do si do si ré ré mi. Et  toute la famille me félicita pour mon assiduité à la tâche, y compris maman ! 


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  • Commentaires

    1
    Dimanche 13 Mai 2012 à 08:17
    Benoît Barvin
    Chère Soeur, intrigué par l'évocation de votre passé, semblait-il de Grande Famille, je me suis penché sur l'Encyclopédie de l'Humour Français où le sieur Frémion - je présume - vous a délicatement posée sur une fiche, dévoilant votre véritable identité (ce qui a entériné mes soupçons), ainsi qu'une partie de votre oeuvre. Une partie simplement, l'Encyclopédie s'arrêtant en 2002. Un gros bouquin très stimulant trouvé, pratiquement vierge, aux Emmaüs. Je ne remercierai jamais assez l'Abbé Pierre et je m'incline bien bas devant vous, en vous effleurant les doigts...
    2
    Dimanche 13 Mai 2012 à 18:46
    Castor tillon
    Ah, un nom à particule ? J'imagine un blaze à la Brétécher, comme Gudule de Saint-Nounours, par exemple.
    Do si do si ré ré mi, ré mi sol fa mi ré do, je l'ai jouée à la guitare, je ne connais pas cette mélodie. Jouer ça pendant deux heures, ça doit être fastidieux, tu aurais pu faire l'effort de "la lettre à Elise", comme toutes les petites filles de bonne famille, vilaine.
    3
    Lundi 14 Mai 2012 à 09:01
    Tororo
    Je ne sais pas pourquoi, cette historiette me fait penser à une certaine chanson de Juliette... ^___^
    4
    Lundi 14 Mai 2012 à 13:40
    Tororo
    Mais voyons, La petite fille au piano, pardi! (sur l'album "Rimes Féminines").
    5
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:46
    gudule
    Ah, tu as l'Encyclopédie de l'humour français ? Chouette, hein ! Je suis toute fiérotte du joli article qui m'est consacré. Je pense que c'est l'œuvre de Frémion, en effet. Ou de Bouyxou, peut-être. Mais ne t'y fie pas : si mon pôpa avait un nom à courant d'air (que j'ai toujours honni, d'ailleurs ; pourquoi crois-tu que j'use de pseudonymes ?), mes parents étaient juste des petits commerçants des faubourgs de Bruxelles. Et le tonton restaurateur qui louait des chateaux a fait, suite à cette opération, une faillite retentissante.
    6
    Odomar
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:46
    Odomar
    Le rédacteur en question est forcément Frémion, Bouyxou ne faisait pas partie de l'équipe. Je le sais car je faisais partie de la bande.
    7
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:46
    gudule
    @ Odomar : arrête, je me suis aussi demandé si ce n'était pas toi, mais j'ai pas osé mentionner ton nom dans ma réponse, sachant que tu allais la lire. C'est con, hein, comme réaction...
    @ Castor : La lettre à Elise ? je n'en étais pas encore là. A part do si do si ré é mi... mais avec les deux mains, hein !
    8
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:46
    gudule
    Gudule de Saint-Nounours, j'adore ! Voilà un nom à particule comme je les aime. Ou Marie-Amélie de Lèche-Trombinet, Ou France-Hermione de Jeanfoutre-Bidasse. Ou Judith-Eymerande de Latour de Mesdeux... En fait, j'adore inventer ce genre de noms. j'en ai mis le paquet dans mes "Histoires de chevaliers" paru chez Milan.
    9
    Odomar
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:46
    Odomar
    Souvent les attaché(e)s de presse portent ce genre de nom !

    @Gudule : Hé non, je n'ai rédigé que des fiches cinéma, sauf une exception je crois...
    10
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:46
    gudule
    Le coupable est donc Frémion ; béni soit-il pour les siècles des siècles amen.
    @ Odomar (encore) : est-ce à dire que l'on recrute ces dames dans l'aristocratie ? Ou qu'elles s'attribuent d'abusifs blasons ? Quoi qu'il en soit, depuis qu'on a pris l'habitude de donner aux enfants le nom du père et de la mère accolés, tout le monde a l'air de sortir du bottin mondain !
    11
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:46
    gudule
    Laquelle ? Laquelle ?
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