• grands moments de solitude 143 (tome 2)

     

                           Phil

     

           En souvenir de Phil, le génial auteur de « La chopine ardente »

    http://philcomix.blogspot.fr/2012/04/chopine-ardente.html

            Quand Phil est mort, en 2012, tous ses copains dessinateurs et rédacteurs décidèrent de créer un journal rien que pour lui. Un numéro unique où chacun se fendrait d’une création-hommage, juste pour lui dire qu’on l’aimait, qu’on ne l’oubliait pas, et surtout le remercier de nous avoir tant fait rire. Ayant eu vent de ce projet alors qu’il tirait à sa fin, je m’empressai d’écrire une histoire rigolote que j’envoyai à qui de droit. Manque de bol, elle arriva trop tard ; le journal était déjà parti à l’imprimerie.

            Du coup, je me retrouvai toute seule sur le quai désert, comme le passager qui vient de rater son train.

            Cette histoire, la voici. Je vous la livre toute chaude, en échange d’une petite pensée pour ce vieux Phil. Où qu’il soit, je suis certaine que ça lui fera plaisir.

     

                                La perfusion ardente

     

             On se retrouvait le soir dans la chambre de Gusse, un pote tétraplégique. La grosse Francine — tu sais, celle qui ne porte jamais de slip sous sa blouse — versait de la gueuze dans nos cathéters.

             — A la vôtre, fieux ! que je gueulais à la cantonade.

             — A la tienne, potferdom ! répondait Willy Vanstouffeling, un ex-fritman en soins palliatifs, encore très bon vivant.

             Et Jefke Snullekop, l’ancien vendeur de brols du vieux marché, entonnait à pleine voix sur l’air de « La mattchiche » :

             C’était une Espagnole

             De la Marolle

             Elle avait des belles crolles

             A sa mijole !      

             On reprenait les « tsointsoin » en chœur, Francine riait à gorge déployée. Malgré son parkinson, Jefke lui foutait la main quelque part ; elle lui en retournait une et tout le monde se marrait. C’était le bon temps.

             Depuis que je suis sorti de l’hôpital, je m’emmerde. Je m’assieds aux tables des bistrots, je dessine sur les sous-bocks, je picole un peu. J’échange quelques mots avec les habitués, la pluie, le beau temps, tout ça. Mais le cœur n’y est plus. Mes compères de biture me manquent. Et les fesses de Francine, qui nous resservait sans même qu’on le lui demande, dès que la perf’ était vide...

             Il m’arrive quelquefois d’aller leur rendre visite, mais ce n’est plus pareil. Je suis devenu quelqu’un de l’extérieur, un étranger ; pire, un renégat. J’ai coupé le tuyau d’oxygène qui me reliait à la matrice commune ; j’ai déserté le club des hospitalisés.

             L’autre jour, pour bien me faire comprendre que je n’étais plus des leurs, Francine a mis une culotte, en ma présence. Alors, je me suis senti définitivement rejeté.

             Je suis parti au long des rues, la tête basse, l’âme en berne. Tel un exilé dans la foule urbaine. Un banni. Une merde.

             Santé, je te hais.

     

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