• grands moments de solitude 142 (tome 2)

     

                                  Mauvais genre

     

             — C’est quoi, ton métier ?

             — Écrivaine.

             En face, la réaction est immédiate :

             — Tu ne peux pas dire « écrivain » comme tout le monde ? Ah là la, ces militantes féministes !

             Ce refrain-là, ça fait vingt ans qu’on me le sort (même des gens intelligents, si, si, je vous assure). Et j’ai beau affirmer qu’il ne s’agit nullement de féminisme mais de syntaxe, ce préjugé — comme tous les préjugés — a la vie dure. Pour lui tordre le kiki, faut en user, de la salive !

             Et pourtant… Dans la belle langue de Voltaire, les noms de profession ont tous un féminin (pourquoi diantre n'en auraient-ils pas ?) Un plombier, une plombière ; un épicier, une épicière ; un facteur,une factrice ; un docteur,une doctoresse ; un avocat, une avocate ; un maire, une mairesse ; un président, une présidente ; un prêtre, une prêtresse ; un cuisinier, une cuisinière ; un gardien de square, une gardienne de square ; un académicien, une académicienne, un plongeur sous-marin, une plongeuse sous-marine ; un roi, une reine ; un bûcheron, une bûcheronne... Qui aurait l’idée saugrenue de contester ces termes couramment usités et grammaticalement corrects, hein ?

             Alors, pourquoi le faire en ce qui concerne ma profession à moi ? Dénierait-on aux femmes le droit d'écrire, par hasard ? (oui, mais qui ? Et pour quelle raison ?) Tout comme Colette, Marguerite Yourcenar, George Sand, Marceline Desbordes-Valmore, Marguerite Duras, Christiane Rochefort*, Louise de Vilmorin, Catherine Paysan, Simone de Beauvoir, Régine Deforges et tant d’autres, je suis — et je le revendique ! — auteure, écrivaine, romancière, scribouillarde, pisseuse de copie, plumitive, écrivaillonne, et j’accepterais même d’être femme de lettres si ce n'était pas aussi prétentieux.

             — Pourquoi focaliser sur cette légère incohérence ? me rétorque-t-on parfois lorsque je vitupère. Certains métiers traditionnellement réservés aux femmes n’ont pas d’équivalent linguistique masculin.

             — Ah bon ? Lesquels ?

             — Sage- femme, par exemple.

             ­ — Et « sage-homme », c’est quoi ? Une recette de cuisine ?

             Bien qu’à ce joli terme, on préfère aujourd’hui « accoucheur », « obstétricien », voire « maïeuticien », perso, il me tient à cœur. J'aime trop la langue française, au vocabulaire si riche et si nuancé, pour accepter qu'au nom d’un machisme d’opérette, d’aucuns se permettent de la mutiler.

            

             * Lorsqu’on lui demandait quel était son métier, Christiane Rochefort répondait : « écrevisse ». C’était une très Grande Dame.

                                                           

     

    « Cinq mois déjà...grands moments de solitude 143 (tome 2) »

  • Commentaires

    1
    Luna
    Lundi 26 Octobre 2015 à 13:23

    Romancière, scribouillarde, pisseuse ( hé hé !) de copie, plumitive, écrivaillonne, ok.
     
    Mais écrivaine... c'est moche, quoi ! M'enfin, ma Gudule.
    Et auteure... on croirait entendre un rheuu asthmatique sur la syllabe finale : chuis auteurheuu rhâââ kof kof kof couiiic !

    Soyons toutes des écrevisses !

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    2
    Pata
    Mercredi 28 Octobre 2015 à 23:48

    Une écrivain, des écrits-veines :)

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