• grands moments de solitude 139 (tome 2)

                                                                         Le château fantôme

     

             Comme chaque automne, la foire d’octobre s’était installée au centre de Liège, et Marraine m’y avait emmenée. Je raffolais de cette atmosphère festive à l’odeur de guimauve et de pomme d’amour, ainsi que des attractions  (manège, grande roue, autos-tamponneuses, tir, pêche à la ligne, tombola) orchestrées par les voix de Dalida, Elvis Presley, Trini Lopez et Richard Anthony. Mais ce qui me tentait le plus, cette année-là, c’était le château fantôme.

             — Tu verras, c’est terrifiant, m’avaient dit mes copines avec délectation.

             Les rumeurs étranges qui s’échappaient du donjon médiéval en carton-pâte, garni de squelettes, de chauve-souris géantes et de sorcières difformes, confirmaient, si besoin était, que les occupants du lieu n’étaient point de joyeux drilles, mais bel et bien des créatures de cauchemar.  

             Marraine me déposa devant l’entrée, munie de mon ticket, avant de déclarer :

             —  Tu pourras te débrouiller seule, n’est-ce pas ? Je mange un morceau et je reviens te chercher.

             Puis elle  s’en fut acheter une barquette de frites et je la vis s’asseoir sur un banc , pour y attendre la fin de mon périple.

             Quelques instants plus tard, une foraine en fichu coloré  vint ouvrir le portail du château  et, sans ménagement, me poussa à l’intérieur. Une sorte de pont suspendu permettait d’accéder à une crypte encombrée de cercueils et d’ossements d’où s’échappaient des cris, des soupirs et  des plaintes. Épouvantée par cet affreux  tintamarre, je fis aussitôt volte-face, mais la foraine me barra la route et referma le portail dans mon dos. Je n’avais d’autre choix que d’affronter ma peur. Or, ça, c’était au-dessus de mes forces.

             Impossible d’avancer d’un pas : mes jambes flageolaient, je claquais des dents et des éclairs glacés parcouraient mon échine quand soudain…

             Qu’aperçus-je par une déchirure du calicot ?

              Marraine qui cherchait une poubelle pour y jeter ses papiers gras — ce qui la rapprocha considérablement de moi. Dans un torrent de larmes, je hurlai à pleins poumons :

             — MARRAINE ! Viens ! Viens vite, je t’en supplie !

             Le brouhaha ambiant, hélas, couvrit ma voix.

             J’émis un second appel, encore plus déchirant,  mais en vain. Quoique … Miracle ! Saisie d’une brusque inspiration, Marraine se hâtait vers la guérite de la foraine au fichu,  en lui montrant du doigt l’endroit où je me trouvais. S’ensuivit une conversation dont, à l’évidence, j’étais l’héroïne, si bien que cinq minutes plus tard, les deux femmes rappliquaient au pas de course.

             L’aventure se termina dans les bras de Marraine qui s’était, précaution ultime,  fendue d’une barbe à papa que je dévorai entre deux sanglots. De sorte que le lendemain, je pus, sans mentir, jurer à mes copines du Thier-à Liège :

             — Le château fantôme, c’était formidable ! Surtout à la vanille avec des petits vermicelles en chocolat !

     

     

     

     

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  • Commentaires

    1
    Mardi 28 Octobre 2014 à 22:14

    Vilaine foraine, qui pousse sans ménagement notre Gudule dans son attraction si peu attractive. Moi, à ta place, je l'aurais poussé sans ménagement dans le monde terrifiant de l'édition.

    2
    Mardi 28 Octobre 2014 à 22:17

    La note du SELF  (syndicat des écrivains de langue française) sur facebook confirme  !

    3
    Mardi 24 Mars 2015 à 20:11

    Donc les marraines fées ne sont pas que dans les contes !

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