• grands moments de solitude 134 (tome 2)

     

                                 Petits moments de reconnaissance

           J’aimerais clore ces « Grands moments de solitude », par deux « Petits moments de reconnaissance » envers ceux — auteurs, personnages, éditeurs, lectures — grâce auxquels a pu se construire ma carrière, avec ses instants de bonheur, de honte, de fous-rires, de frustration, d’exaltation, de découragement, dont ce livre donne un aperçu.

             Les deux textes qui suivent évoquent ma collaboration avec les éditions Hachette, à travers ses collections légendaires : La Bibliothèque verte et La Bibliothèque rose.

     

     

                                                   1) Cher Instit, 

     

             Vous l'ignorez sans doute, mais je vous dois beaucoup, et plus encore que cela ! C'était en 1994, si je me souviens bien. Je travaillais alors dans la presse bas-de-gamme où je m'ennuyais ferme, et, tout en sélectionnant petites annonces et encarts publicitaires, je me disais :

             « Ah, si je pouvais vivre de mes livres… »

             Désir utopique s'il en est ! Certes, j'avais, au cours des sept années précédentes, publié une demi-douzaine d'ouvrages, en mordant sur mes loisirs et mes heures de sommeil, mais de là à en faire mon activité principale ! Ce n'étaient pas, hélas, six titres marchant cahin-caha qui allaient payer le loyer, l'électricité, la bouffe, les notes de téléphone de ma fille et les croquettes du chat.

             Dans mes moments de déprime, j'avais fait un calcul sordide mais réaliste : pour arriver à « nouer les deux bouts », il me fallait sortir au minimum dix livres par an, le montant des à-valoir étant, grosso-modo, l'équivalent d'un mois de salaire. Or, j'étais loin du compte ! Et même si j'avais été capable de les écrire, ces livres, encore eût-il fallu les publier ! Quel(s) éditeur(s) eû(ssen)t pu m'assurer une telle régularité, une telle abondance ?

    « Aucun, hélas… » pensais-je.

    Eh bien, je me trompais. Le miracle jaillit sous forme d'un coup de fil de Laurence D., alors directrice de la Verte et de la Rose. Elle me proposait la novélisation d'un épisode de votre série télévisée, alors en plein essor.  Les deux premiers titres, m'expliqua-t-elle ( Concerto pour Guillaume et  Le mot de passe)  avaient été confiés à des auteures-maison qui ne souhaitaient pas récidiver, et elle leur cherchait des remplaçants. Cela me tentait-il ?

             J'ignorais alors en quoi consistait l'adaptation d'un film en livre, mais puisqu'il s'agissait d'écrire, c’était forcément dans mes cordes. D'autant que je vous connaissais pour vous avoir vu deux ou trois fois à la télé, et je me sentais en accord avec ce que  vous véhiculiez : générosité, égalité, fraternité, respect de la différence, refus de toute forme d'exclusion, racisme ou discrimination. Je pouvais  donc, sans risquer de trahir mon éthique, m'approprier votre personne et mettre mes mots dans votre bouche.

             Laurence me fournit la cassette de l'épisode qu'elle me destinait ( Vanessa, la petite dormeuse), ainsi que le scénario d'origine, en me précisant que c'était assez urgent. Mon fils Frédéric, qui travaillait sur les décors du  film, me fit découvrir les hortillonnages d’Amiens où il était tourné, et, gonflée à bloc, je me lançai à corps perdu dans l'aventure.

             Une dizaine de jours plus tard, j’apportai ma première mouture à l’éditrice qui l’accepta sans hésiter. La symbiose entre vous et moi était, assura-t-elle, totale ; nous étions véritablement faits l'un pour l'autre.

    — Seriez-vous prête à prendre la totalité de la série en charge ? hasarda-t-elle. Je vous préviens : il y aura environ sept livres par an.

    Je faillis lui sauter au cou. Sept Instit, plus, disons, deux ou trois bouquins de mon crû, j'atteignais mon quota !

    Je n'eus pas besoin de répondre : elle lut sur mon visage un oui sans réticence. Ainsi, cher Instit, débutèrent, pour nous deux, trois années d'union, ma foi, fort harmonieuses. Vous me fournissiez le gîte et le couvert, je vous conférais, en échange, forme, épaisseur, existence, humanité. Virent ainsi le jour quelque vingt-cinq ouvrages — nos enfants, en somme— dont ni vous ni moi n'eûmes, je crois, à rougir.

    Aujourd'hui, le parcours commun est terminé depuis bien longtemps. Mais il m'arrive d'y repenser avec émotion, surtout quand de jeunes lecteurs — et ils sont encore très nombreux ! — me parlent de vous, en précisant : « C'est grâce à l'Instit que je me suis mis à lire. » Alors, je sais que, vous et moi, n'avons pas perdu notre temps, puisque nous leur avons ouvert, ensemble, les portes du rêve.

    (Pour plus de détails, voir les chapitres 52, 53 et 169 du présent recueil)

     

                                                  2) La Comtesse, Fifi et moi

     

             Du plus loin que je me souvienne, la Bibliothèque Rose a tenu dans ma vie une place de choix. Mes premières vraies émotions de lectrice remontent aux romans de la Comtesse de Ségur, ces magnifiques ouvrages à couverture rouge, dorée au fer, que je tenais de ma grand-mère. À l'époque, ils n'étaient pas encore illustrés par Pécoud — dont les dessins très "années trente" furent, par la suite, indéfectiblement liés à l'œuvre de la Comtesse — mais enluminés de gravures vieillottes qui me transportaient. J'ai appris à lire en déchiffrant avidement Les malheurs de Sophie et Les mémoires d'un âne, ce dernier titre restant pour moi, en dépit des critiques dont il a pu être l'objet, l'un des monuments de la littérature jeunesse.

             Puis, un jour, vint Fifi Brindacier, et l'approche, à travers les mésaventures cocasses de la trublionne aux nattes rousses, de l'humour, de la désinvolture, de l'impertinence et de l'insoumission. Je n'oublierai jamais mon émerveillement en découvrant, dans La princesse de Couri-coura, une héroïne fondamentalement différente de toutes celles que j'avais croisées jusqu'alors. Rompant avec la traditions bien établie des personnages-modèles que les livres pour enfants, par souci pédagogique, imposaient à leurs lecteurs, Fifi en remontrait aux adultes, vivait seule en compagnie d'un singe et d'un poney, et possédait une force surhumaine. Bref, elle ne cherchait pas à nous faire la morale mais la transgressait, au contraire. Je crois avoir appris, sous la plume d'Astrid Lindgren, le sens du mot « liberté ».

    Fifi ne m'a plus jamais quittée, depuis. Je lui dois, en grande partie du moins, ma fougue d'écrire, et nombre de mes héros portent son empreinte. Zoé-la-trouille, entre autres, qui m'a ouvert les portes de cette collection mythique…

             Paraître dans la Bibliothèque Rose était pour moi plus qu'un rêve : un  fantasme. Prendre la suite des Grands Dames qui lui ont donné son âme, son identité, et ont aidé tant de fillettes à se construire, quel privilège, quel honneur ! L'occasion m'en fut offerte il y a une vingtaine d'années, et depuis, Zoé côtoie, pour mon plus grand bonheur — et, je l'espère, celui des lecteurs d'aujourd'hui —, les Sophie, les Cadichon et les Fifi qui ont  ébloui mon enfance.

     

    (Pour plus de détails, voir le chapitre 32 du présent recueil)

    « grands moments de solitude 133 (tome2)grands moments de solitude 135 (tome 2) »

  • Commentaires

    1
    Mélanie
    Jeudi 23 Octobre 2014 à 22:03

    Déjà la fin...


    Je ne me lasse pas, et ne vois donc pas le temps passer :)

    2
    Jeudi 23 Octobre 2014 à 22:41

    t'inquiète, Mélanie, j'en ai encore une demi-douzaine en rab !

    3
    Mélanie
    Jeudi 23 Octobre 2014 à 22:45

    YESH ! (dixit Mooch (oui, j'aime Mutts))

    4
    Jeudi 23 Octobre 2014 à 23:34

    Encore une demi-douzaine en rab... Et il faut le temps que les futures conneries s'accomplissent. Mais j'ai bon espoir pour le troisième recueil.

    5
    Jeudi 23 Octobre 2014 à 23:36

    esclavagiste ! (tu aurais dû faire éditeur, toi !)

    6
    Yunette
    Vendredi 24 Octobre 2014 à 01:10

    Ouf ! Vive les commentaires, j'ai pris peur !

    Bon, va falloir que je lise l'instit, désormais... pas eu l'occasion, mais ça sera vite réparé ! (le temps que je les trouve, en somme...)

    Quant à la Comtesse... j'aime toujours autant la relire, mais promis, bientôt je me mets à Fifi et Zoé ! Si si !
    32 ans et encore à la bibliothèque rose ? J'assume ! (Je collectionne d'ailleurs les Castor Poche Junior, c'est dire !)

    7
    Vendredi 24 Octobre 2014 à 06:03
    Tororo

    Ma foi, j'aime bien la moralité que tire Castor: les conneries, il faut leur laisser du temps. Où irait-on si on devait s'en imposer un quota mensuel?

    8
    Flopsy
    Vendredi 24 Octobre 2014 à 09:37

    Merci pour ces deux volumes de grands moments de solitude que j'ai savouré quotidiennement et un immense merci de nous promettre du rab !!

    9
    Vendredi 24 Octobre 2014 à 09:48

    @ Flopsy : bah, tu sais, si ça t'a amusé de les lire, moi, ça m'a amusée de les écrire. Du coup, on est quitte !

    @ Toro : Castor est un être d'une très haute moralité, et son quota journalier de conneries atteint parfois de tels sommets que ça donne le vertige. Es-tu certain d'avoir le coeur assez bien accroché ?

    10
    Vendredi 24 Octobre 2014 à 10:01

    @ tororo : euh... perso, je n'aurais pas trop de mal, c'est aussi naturel que de respirer. Hier, encore, j'en ai fait une en direct sur facebook (un de ces quatre, vous y aurez droit

    11
    Vendredi 24 Octobre 2014 à 12:18

    La Comtesse, illustrée par... Mais oh là, que tu fais remonter de choses ! C'est ce que j'aime en te lisant. ça parle de toi qui nous parle de nous, en mieux. 

    12
    Delphine-Laure
    Vendredi 24 Octobre 2014 à 17:26

    Merci pour tous ces moments, vraiment, vraiment, vraiment.

    13
    Mardi 24 Mars 2015 à 19:53

    Oui, pour moi aussi, la bibliothèque rose a nourri de longues heures de lectures à mon imagination ! Où les p'tites filles modèles allaient se mélanger avec ceux du club des 5 ^^

    • Nom / Pseudo :

      E-mail (facultatif) :

      Site Web (facultatif) :

      Commentaire :


    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :