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GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 134
Vertige de l’humour
Mon relieur se piquait de littérature. Durant les quelques mois où je l’avais fréquenté, il prenait plaisir à me lire ses œuvres. Elles en valaient la peine ! C’étaient de courtes piécettes d’un humour délirant, parodique et quasiment surréaliste, intitulées (entre autres) Les aventures de Loufock Holmes, Le fils des trois mousquetaires, L’homme à tête d’épingle ou Le nain et les sept Blanche-Neige. Je les écoutais, morte de rire et éperdue d’admiration.
Puis survient ma grossesse, la naissance de Frédéric et le Liban, où je fais la connaissance d’un producteur arménien, surnommé « Le Monocle », qui ambitionne de lancer le café-théâtre à Beyrouth. Dans ce but, il monte une équipe de comédiens amateurs dont nous faisons partie, Alex, Ricco et moi. Un metteur en scène français est recruté, une salle aménagée, une date d’inauguration fixée, et se pose alors cette question cruciale : qu’est-ce qu’on va jouer ?
Les pièces citées plus haut me reviennent en mémoire. Je les mentionne à mes collègues et leur en raconte des passages, tout en restant évasive sur l’auteur. Oui, il vit en Belgique, non, il ne les a jamais publiées, et non, non, non, je ne souhaite pas entrer en contact avec lui. Tant pis. Dommage. Chapitre clos.
Cependant, un beau soir, le metteur en scène nous annonce :
— J’ai dégoté des petits sketches qui devraient convenir. Un peu dans le genre de ceux dont Anne nous a parlé.
Et il brandit un livre intitulé « Pour lire sous la douche », d’un certain Pierre-Henri Cami.
— C’est un écrivain du début du siècle, que Charlie Chaplin considérait comme le plus grand comique du monde, précise-t-il.
Je lui pique le bouquin pour y jeter un coup d’œil, et là, le choc ! Ce sont, mot pour mot, les pièces de mon relieur. Pièces qu’il s’est contenté de recopier, histoire de m’en foutre plein la vue. Et moi, puits d’inculture, j’ai marché à fond dans la combine...
Qu’est-ce qu’il a dû se fiche de moi, le gros enfoiré !
Il m’a fallu une bonne heure pour me remettre. Par chance, les autres étaient trop occupés à se marrer pour s’en rendre compte. Ils ont sélectionné Le fils des trois mousquetaires, dont j’ai approuvé distraitement le choix — sans leur faire part, bien sûr, de ma découverte. Donner dans l’humour-qui-décape, d’accord à cent pour cent, mais pas dans le ridicule-qui-tue !
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Commentaires
1Benoît BarvinLundi 30 Avril 2012 à 07:13Répondre
C'est dommage qu'il ne soit pas plus connu, d'ailleurs, ton relieur a mal fait la promotion.4guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:47
Mes Solitudes tirent, hélas, à leur fin. Elle s'arrêteront à 140. Faudra que je trouve autre chose pour notre rendez-vous quotidien. Merci à toi et tes portes, en tout cas, pour Tu Quoque qui, par chance, ne s'essoufle pas.5OdomarVendredi 29 Août 2014 à 13:476guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:477OdomarVendredi 29 Août 2014 à 13:478guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:47
Ceci dit, je te conseille la lecture de Cami, c'est jubilatoire en diable.9OdomarVendredi 29 Août 2014 à 13:4710guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:4711guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:47
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