• grands moments de solitude 133 (tome2)

                                                              Les ballerines

     

    Mélanie nous avait fait tout un cirque : c’était cette paire-là qu ‘elle voulait, et pas une autre. Or, « cette paire-là » coûtait bonbon et je n’avais pas une thune.

    — Demande à ton père, lui conseillé-je.

    Sans hésiter, elle courut chez Alex et l’entraîna vers le magasin de chaussures.  Ils en sortirent une demi-heure plus tard, aussi fiers l’un que l’autre ; lui de s’être acquitté brillamment de sa tâche, elle d’avoir des pieds de danseuse.

             Après m’être extasiée sur leur acquisition, je recommandai à ma fille :

             — Tu y feras bien attention, n’est-ce pas ! Parce qu’à ce prix-là, on ne t’en rachètera pas d’autres !

             Recommandation inutile ! Mélanie n’avait d’yeux  que pour ses jolies ballerines,  sur lesquelles elle veillait jalousement, et qu’elle bichonnait avec amour.

             Le surlendemain, vers midi, j’attends son retour de l’école quand on frappe à la porte.

             — Etes-vous la maman de la petite Mélanie ? demande un voisin que j’ai aperçu quelquefois dans le quartier.

             Je sens un éclair glacé me vriller l’échine.

    — Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il se passe ?

    —  Elle vient de se faire renverser par une voiture…

    Dans la seconde qui suit, je dévale l’escalier et fonce vers l’attroupement  qui piétine devant l’immeuble.

             — Où est la petite fille qui a eu un accident ?

    —Les flics l’ont emmenée à Lariboisière, même qu’elle ne voulait pas y aller. Elle trépignait en réclamant sa mère.

             Ces mots me crucifient.

    — Pourquoi ne m’a-t-on pas prévenue ? Je  suis la première concernée, quand même ! Et j’habite juste là.

             Mimique incertaine de la foule.

             — Tout s’est passé si vite ; on ne nous a pas demandé notre avis…

             —Ils sont partis depuis combien de temps ?

             — Cinq minutes à peine.

    En tremblant comme une feuille, je remonte chez moi, téléphoner à Alex et appeler un taxi.

             Comme il n’y en a pas de libre ; je cours d’une traite jusqu’au métro.

             Inutile de m’attarder sur  les visions horribles qui me traversent l’esprit durant le trajet. En proie à une angoisse indescriptible,  je me ronge les ongles jusqu’au sang. J’imagine déjà ma petite fille mutilée, handicapée à vie…

              

    À peine arrivée, je fonce aux urgences où je la trouve en larmes, assise dans un fauteuil roulant. Son père est déjà là, qui la serre dans ses bras, aussi bouleversé qu’elle.

             — Tu as mal, ma chérie ?

    Et  elle, dans un sanglot :

    — Non, pas du tout. J’ai jamais eu mal, d’ailleurs, mais quand je leur ai dit, « ils » n’ont pas voulu me croire.

              — Pourquoi tu pleures, alors ?

              —La méchante infirmière a abîmé mes ballerines !

             L’accusée, qui a surpris ces derniers mots, s’empresse de se justifier :

             — On a dû découper sa chaussure pour la lui retirer : comme la roue de la voiture a heurté sa cheville, le docteur craignait une fracture et a demandé une radio. Je vous rassure tout de suite, elle n’a rien.

             Découper sa chaussure ! Ce sacrilège méritait une compensation. 

    En rentrant, nous fîmes un détour par le magasin de chaussures, où il restait, par chance, une paire de ballerines blanches à la bonne pointure.

             Réaction de Mélanie :

             — Oh, je suis bien contente : elles me plaisent encore mieux que les roses ! La prochaine fois, je pourrai avoir les dorées ?

     

            

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  • Commentaires

    1
    Yunette
    Mercredi 22 Octobre 2014 à 17:41

    Et le trou de la sécu fut creusé pour des paires de ballerines ! :D
    (Sont graves les gens "j'ai pas mal ! " " pas grave, tu vas quand même à l'hosto")

    2
    Mélanie
    Mercredi 22 Octobre 2014 à 17:53

    Découper... une ballerine ? Mais qu'ont-ils bien pu découper ?? oh

    3
    Mercredi 22 Octobre 2014 à 17:59

    ben l'arrière et le côté, pour pas forcer sur le petit pied !

    4
    Mercredi 22 Octobre 2014 à 18:05

    bien d'accord avec toi Yunette ; ils m'auraient prévenue, je ne l'aurais pas laissée partir, ce qui lui aurait évité un gros moment d'angoisse ; mai bon, des flics...

    5
    Mercredi 22 Octobre 2014 à 20:50

    La prochaine fois............... :-)))

    6
    Mercredi 22 Octobre 2014 à 22:10

    heu... avec ses enfants à elle, alors, Méo ? Elle a quelque chose comme la quarantaine, aujourd'hui !

    7
    Mercredi 22 Octobre 2014 à 22:43

    Oui je sais. Mais qu'entendait-elle par "la prochaine fois" ? Au prochain accident ?  :-)

    8
    Jeudi 23 Octobre 2014 à 00:04

    AH MAIS TU AS RAISON, MA FOI ! AU PROCHAIN ACCIDENT, je suppose, ou au prochain cadeau : on ne doute de rien, à cet âge !

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    9
    Jeudi 23 Octobre 2014 à 07:54
    10
    Jeudi 23 Octobre 2014 à 10:08
    11
    Vendredi 24 Octobre 2014 à 10:35

    Hé ! Ho ! J'ai 36 ans Mâdââme !

    Tiens je remets ici l'anecdote que j'ai racontée sur facebook : Après la radio, et en raison des légères brûlures qui parsemaient ma jambe, je suis sortie de l'hôpital avec un bandage style plâtre du plus bel effet. Il me tardait de le montrer à mes copains de collège ! Seulement, j'ai été renversée un vendredi, et le lundi matin, mes brulures étant deja toutes cicatrisées, on m'a enlevé le bandage. Et aucun de mes copains m'a cru quand j'ai raconté ce qui m'était arrivé, tout le monde m'a traité de menteuse, et j'avais même plus mon bandage pour le prouver !

    12
    Yunette
    Vendredi 24 Octobre 2014 à 12:52

    36, 40, ta Maman ne se goure que de 4 ans ! (et importantes, ces années ! )

    13
    Vendredi 24 Octobre 2014 à 18:51

    oups, pardon, ma Moumoune ! quand je dis que je suis menteuse ! en revanche, j'avais oublié le coup de pansement. Décidément !

    14
    Mardi 24 Mars 2015 à 19:47

    Un accident à la chute heureusement sans gravité mais pas sans charme :)

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