• grands moments de solitude 130 (tome 2)

     

                                         Radio libre

     

             En ce temps-là, j’animais, sur radio Libertaire, une émission toute pleine de trucs de filles. Le passe-temps des dames et des demoiselles, ça s’appelait (comme l’émission-culte de radio Luxembourg, destinée aux ménagères de l’après-guerre, oui, oui, exactement). Outre le grand feuilleton hebdomadaire Autopsy d’une conne (première version), elle comprenait une rubrique intitulée Au bonheur des smicardes où je refilais toutes mes bonnes adresses de fouineuse fauchée. Des petites annonces bidon, truffées de jeux de mots coquins et d’allusions salaces, ainsi qu’un courrier du cœur moralement répréhensible, rythmaient ce programme ayant pour jingle Les nuits d’une demoiselle de la merveilleuse Colette Renard. Bref, on rigolait bien. (Vu sa rareté sur un média militant d’extrême-gauche, la chose mérite quand même d’être signalée).

             Nous étions trois nanas à la barre de ce navire libertin. Au micro, en ma compagnie, Iris, dessinatrice de BD engagée. Et, à la technique, Michèle, transsexuelle ostentatoire et féministe. Bref, un trio de choc bafouant ipso facto les codes du bon goût et de la moralité.

             Or, un beau jour, à l’occasion d’une émission ayant pour thème « la lingerie érotique ; esclavage ou liberté ? », notre fine équipe décide de frapper un grand coup.

             — La semaine prochaine, afin d’être en osmose avec notre sujet, nous ferons l’émission en petite tenue, annonçons-nous benoitement.

             C’était un gag, bien sûr — enfin, pas tout à fait. Car mes coéquipières prirent la chose au sérieux, à tel point que Michèle resta torse nu devant sa console (elle avait de jolis seins modelés à coup d’hormones dont elle était très fière). Iris, pour sa part, portait une guêpière digne de Betty Page, et des talons aiguilles. Quant à moi, ayant dégoté aux Emmaüs le probable trousseau d’une jeune mariée de la Belle Époque, j’arborais un caraco en soie saumon assorti d’une culotte bouffante, aussi rétro que peu sexy.

             À 12 mn 32 du début de l’émission, la sonnette du studio retentit. Nos auditeurs, à l’évidence, ne se contentaient plus du son ; il leur fallait aussi l’image. Derrière la porte blindée, ça faisait un raffut pas possible. Un certain nombre de mâles en rut nous assiégeait.

             — Merde de merde, faut appeler les copains à la rescousse, paniqua Iris en se ruant sur le téléphone, tandis que, m’emparant du micro, j’exhortais en vain nos assaillants au calme.

             — Qu’ils y viennent, ces cons, ils verront à qui ils ont affaire ! glapit Michèle qui avait fait de la boxe, du temps où elle était mec.

             Les cons n’y vinrent pas, car un commando d’anars purs et durs les en empêcha. Et comme, entre-temps, nous nous étions rhabillées de pied en cap, l’intervention se fit dans un calme relatif. En revanche, qu’est-ce qu’on a entendu, les potines et moi !

             — Ce n’est pas Carbone 14, ici ! gueulait le responsable de la programmation. Le but de cette radio n’est pas d’exciter la libido du public mais de modeler sa conscience politique. Si vous n’avez pas compris ça, votre place n’est pas parmi nous !

             Cet incident sonna le glas du Passe-temps des Dames et des Demoiselles. Mais deux mois plus tard, tel le Phénix renaissant de ses cendres, je proposai une nouvelle formule intitulée Ni dieu ni maître, mais des déesses et des maîtresses qui fut acceptée à l’unanimité.

     

             Ma parole, ils y avaient pris goût !

                      

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  • Commentaires

    1
    Vendredi 9 Octobre 2015 à 23:20

    Les trois grâces déchainent les foules.

    Ceci dit, il faut reconnaître que c'est frustrant. C'est comme si on montrait un peep-show à un aveugle.

    2
    Pata
    Jeudi 29 Octobre 2015 à 00:21

    Mouarf !

    Les dessous de la radio, je pensais pas que c’était si affriolant ^^

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