• grands moments de solitude 129 (tome 2)

                                                                  Le WC maléfique

     

             Dans le courant des années 80, de hideux édicules envahirent Paris : les sanisettes Decaux. Ces petites cabines payantes, au design d’équipement de chantier, s’étaient en effet généralisées. On en trouvait à chaque coin de rue, car, contrairement aux vespasiennes qu’elles remplaçaient, elles offraient l’avantage d’être « autonettoyantes ». Après usage, un mécanisme automatique se déclenchait ; la structure basculait sur elle-même, et des jets corrosifs  inondaient l’habitacle.

             Rien que cette description donnait déjà le frisson. Mais quand les journaux annoncèrent qu’une fillette de quatre ans, coincée à l’intérieur,  avait trouvé la mort au cours de cette manœuvre, ce fut la grande panique. Les « toilettes maléfiques », comme on les surnomma, devinrent la cible numéro un des vandales. On les tagua, les démolit, on arracha leurs portes, on les remplit d’ordures et de gravats, bref, elles firent office de défouloir public. Ainsi, sous l’alibi d’une légitime vengeance, la hargne populaire s’acharna-t-elle sur elles, comme, jadis, sur les malfaiteurs condamnés à la roue, au bûcher ou au pilori.

             Loin de moi l’idée de comparer la déprédation de matériel au sort des suppliciés ! Mon anthropomorphisme ne va pas jusque là. Mais n’empêche que ce déchaînement de violence, eût-il un WC pour objet, me glaça.

            

             Le temps passa. Le mécanisme des sanisettes fut modifié, leur système d’ouverture perfectionné, et une bonne dizaine de « nouvelles générations » succédèrent au modèle d’origine. Quant à  l‘histoire de la fillette broyée, elle tomba dans l’oubli avant de prendre place parmi la longue liste des légendes urbaines.

             Elle ne cessa, cependant, de hanter mes cauchemars, à tel point qu’il y a quelques jours, dans un vide-grenier, en voyant l’une de mes petites-filles s’approcher d’une cabine (amovible, extra-légère, ultra-sécurisée, dernière génération), je ne pus m’empêcher de hurler :

             — N’entre pas là-dedans, surtout  !  C’est très dangereux !

             — Mais maman m’a permis, protesta la fillette.

             — Je m’en fiche, je t’interdis d’y aller !

             Résultat : la gamine inonda sa culotte, ce qui l’humilia, la fit pleurer, et me bourrela de remords. Le WC maléfique avait encore frappé !

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  • Commentaires

    1
    Mardi 24 Mars 2015 à 19:37

    Hé, hé, tu en as fait des water-minators terrifiantes de ces WC !

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