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GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 126
Récidive
J’ai souvent raconté comment, enfant, je comprenais les mots de travers, principalement dans les chansons. Pour moi, le « bergère, vite, allons » de Il pleut, il pleut bergère devenait « bergère Vitalon », nom qui me déplaisait. (J’aurais préféré Rose ou Violette, nettement plus glamours.) Dans le succès de Charles Trénet La java du diable, il y avait ces deux vers redoutables : « Au-delà des mers, ce fut bien pire / Le mal gagna, c’est trop affreux ». Aussitôt, cet affreux Malgagna devint l’incarnation de toutes mes peurs nocturnes. Que de cauchemars il m’a provoqués, le bougre ! Quant à la litanie que les sœurs nous imposaient chaque matin, en classe : « Je rends grâce à Dieu tout-puissant, à la très sainte Vierge Marie et à Joseph, son chaste époux », j’ai longtemps cru qu’elle était destinée à nous débarrasser des parasites capillaires.
Je pourrais en énumérer des dizaines, de ces confusions puériles et charmantes ; vous également, j’en suis certaine. Mais, pour le commun des mortels, elles s’arrêtent à l’âge adulte. Pas pour moi.
Il y a deux ou trois ans, je discutais avec mon pote Malick à la terrasse du Roc café. Comment en suis-je venue à parler de « fandanruy » ? Je ne m’en souviens pas.
— Qu’est-ce qu’un fandanruy ? s’enquit-il.
— Une sorte de fandango à l’ancienne, je suppose. C’est Victor Hugo qui en parle dans son poème « Gastibelza », mis en musique par Georges Brassens.
Moue dubitative de Malick.
— Ah bon ? Où ça ?
Et moi, toute fiérotte, de citer (de mémoire) :
— « Le roi disait en la voyant si belle, à son neveu / Pour un baiser, pour un sourire d’elle, pour un cheveu, / Un fandanruy, je donnerais l’Espagne et le Pérou / Le vent qui vient à travers la montagne me rendra fou.
— « Infant Dom Ruy », corrigea Malick, écroulé de rire.
J’ouvris des yeux ronds.
— Mais... ça ne veut rien dire !
— Bien sûr que si. Le roi s’adresse à son neveu, l’infant Dom Ruy, en le nommant : « Pour un baiser, pour un sourire d’elle, pour un cheveu, / Infant Dom Ruy, je donnerais l’Espagne et le Pérou... »
Vérification faite sur internet, il avait raison. Ça m’a complètement déstabilisée. Mettez-vous à ma place : durant un demi-siècle, j’avais imaginé Donâ Sabine dansant le fandanruy sous les yeux éblouis du souverain d’Espagne, et d’un seul coup, tout s’écroulait.
Pour me venger, j’ai donné ce nom au village de mon livre « Le faiseur d’anges » que j’ai, dans la foulée, dédié à Malick. Et toc !
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Commentaires
1TororoDimanche 22 Avril 2012 à 07:12Répondre
Maintenant, on dispose d'internet pour vérifier rapidement, mais avant ce n'était pas le cas.
Benoît, j'adore "vous mourûtes" !
Et je veux bien que tu me dédies un livre, ouais ouais ouais ma Gudule !
Mais dans la catégorie des poèmes mis en chanson, je suis restée longtemps persuadée que Jean Ferrat (et Aragon à travers lui) n'auraient été, "sans toi", qu'un "Balbus immense"...
Ne me demandez pas ce qu'était un Balbus...
Mais c'est dans quelle chanson qu'on parle de gros peigne à boudin? Je croyais bien connaître Vassiliu, mais non.9guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:4710guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:47
T'as pas honte de me faire ça un jour d'élection ?11guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:4712guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:4713SoukeynaVendredi 29 Août 2014 à 13:47Hahaha! Tout ça me rappelle de bien bons souvenirs! Je me souviens que quand j'étais petite, il y avait une phrase dans la chanson "Question d'équilibre" de Francis Cabrel que je comprenais toujours de travers: "le plancher m'appelle". Moi, j'étais sûre qu'il chantait: "Le plancher, ma belle."
Du coup, du haut de mes cinq-six ans, j'étais dans tous mes émois. Comprenez, c'était le seul à me sussurrer "ma belle" dans une chanson! Le choc quand, quelques années plus tard, en la réécoutant, j'ai compris ce qu'il disait vraiment! Quelle déception!
... Même s'il faut avouer que y'a plus romantique que "le plancher" pour parler à une femme... Mais allez dire ça à une fillette!
Bref, ce billet m'a bien fait rire, alors merci!14SoukeynaVendredi 29 Août 2014 à 13:47... Et bien sûr, je voulais dire quelque chose du style "quels émois", ou alors "j'étais dans tous mes états", pas mélanger les deux expressions. Quelle horreur.15guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:4716SoukeynaVendredi 29 Août 2014 à 13:47Oh, mais faites donc! Quel honneur ça serait pour moi que de voir une expression de mon crû empruntée par une auteure que j'aime tellement! ;)
Et je suis d'accord, j'adore lire ce genre d'anecdotes, ça me fait toujours sourire. Les commentaires ci-dessus n'y ont pas manqué, d'ailleurs.17guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:4718OdomarVendredi 29 Août 2014 à 13:4719OdomarVendredi 29 Août 2014 à 13:47
Il y aurait un livre entier à écrire sur ces variations. Un peu comme "La foire aux cancres" de Jean Charles. Moi-même, j'ai entendu à la radio parler du "Vent des Globes", ce qui était bien plus poétique que "Vendée-Globe" !20guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:4721guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:4722guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:47
Je ne me souviens plus du titre de la chanson, mais le refrain était : "Pouf, pouf, patapouf et gros peigne à boudin, tire-larigaud tsoin tsoin". Mais peut-être Castor nous en dira-t-il plus ? Houhou, Castooor !23guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:4724guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:4725baekMardi 17 Février 2015 à 11:10
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