• GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 119

    Gudul’s connexion 

      En 1999, invitée par l’Alliance Française de La Paz, je me rends en Bolivie. Avant mon départ, des amis qui connaissent bien le pays rm’ont prévenue : à 4000 mètres d’altitude, la respiration est laborieuse et le cœur dérouille. Les Européens ont souvent des malaises.

             — Pour éviter tous les problèmes, fais comme les Indiens, mâche des feuilles de coca, me recommandent-ils. C’est un  stimulant cardiaque naturel, utilisé depuis des millénaires.

             Je suis ce conseil à la lettre. Rien de plus facile, d’ailleurs : cafés, restaurants, magasins, administrations mettent, à la disposition du public, des petits ramequins remplis de ces feuilles qui ressemblent à du laurier. De plus, la boisson de base de la population est le « maté de coca », une infusion servie le matin, à mon hôtel, et en journée, dans tous les bars de la ville. Bien que le goût ne soit pas terrible, je remplace donc mes habituelles pauses-café par des pauses-maté, et m’en trouve bien.

             La veille de mon retour, je me dis : « Si je ramenais un peu de ce breuvage à Sylvain ? » et j’achète, dans le supermarché du coin, un paquet de cent dosettes vendu au rayon thé. Puis je prends mon avion, sans arrière-pensée.

              Or, je voyage par la TAM, compagnie aérienne brésilienne. Ni le personnel, ni les passagers ne parlent français. Ce n’est, en soi, pas très dérangeant, jusqu’à l’aterrissage à Charles de Gaulle. Car au moment où l’avion se pose — de manière un peu chaotique, ce que, plongée dans un bouquin, je remarque à peine —, le pilote annonce quelque chose au micro, et les hôtesses passent dans l’allée en nous exhortant à rester assis. 

             Un quart d’heure s’écoule sans que les portes s’ouvrent. J’en demande la raison à mes voisins qui me répondent en portugais ou en anglais, deux langues que je ne comprends pas. De ma place, je n’ai pas accès aux fenêtres mais des lueurs de girophares me parviennent par intermittences.

             C’est alors que l’évidence me fond dessus.

             « Mon maté de coca ! »

             Dans ma tête s’élabore aussitôt un fulgurant scénario-catastrophe. La brigade des stups a eu vent de mon achat. En ce moment même, des chiens sniffeurs fouillent la soute à bagage ; les flics retiennent les passagers jusqu’à ce qu’ils aient coincé le coupable — c’est-à-dire moi, devenue par inadvertance trafiquante de cocaïne... Dans un  état de panique indescriptible, je prépare ma défense : « C’est juste de la tisane, monsieur le commissaire, pas une drogue, je vous jure ! Je me suis renseignée au consulat de France, et on m’a assuré que ce produit était légal. Vous pouvez les appeler, ils vous confirmeront. Tout le monde boit ça, en Bolivie, même les enfants ! » Hélas j’ai beau tenter de me rassurer, la peur enfle, enfle. Quand, enfin, les portes s’ouvrent, elle a atteint son paroxysme.

             Des hommes en uniforme montent à bord et font sortir un à un les voyageurs, en leur recommandant — en français, cette fois — de ne pas s’affoler : ils maîtrisent la situation. Toute fuite s’avérant impossible, je me laisse entraîner vers l’inévitable garde à vue... 

             Sur le tarmac, des ambulances, des fourgons de police, des voitures de pompiers nous accueillent, et pour cause : l’avion a quitté la piste et s’est embourbé jusqu’au ventre dans la pelouse. C’était donc ça, les secousses ressenties lors de l’atterrissage ? Mais alors, ce déploiement de forces ne m’était pas destiné ?

             On a juste frôlé l’accident mortel ?

             Ah bon ?

             Quel soulagement !  

    « Une fort belle critique...GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 120 »

  • Commentaires

    1
    Dimanche 15 Avril 2012 à 08:17
    benoît barvin
    Ah, ces écrivains... Leur imagination fertile - oh combien dans votre cas, Chère Soeur - leur permet d'échapper à la misérable condition humaine. Voilà la fonction de l'artiste: échapper au réel sordide en se faisant un film auquel on croit... Et que vogue la galère de la vie sans qu'on rame vraiment... ou du moins, qu'on en est - trop - conscience
    2
    Dimanche 15 Avril 2012 à 09:42
    benoît barvin
    Aie! qu'on en "ait" trop... Ce que c'est que le trip de l'altitude... Continuez encore un peu à nous égayer, Chère Soeur, de votre humaine sollicitude, c'est du tout bon!
    3
    Dimanche 15 Avril 2012 à 21:33
    Castor tillon
    Je crois que tu as été victime du syndrome de la gaffeuse : même quand tu n'as rien fait, tu es persuadée d'avoir gaffé.
    C'était très drôle.
    Je note que tu es super-zen en avion. Moi, je fais bonne figure, et fais semblant de m'absorber dans mon Philip K. Dick, mais ça me terrifie.
    4
    Dimanche 15 Avril 2012 à 22:05
    Castor tillon
    J'ai remarqué qu'en général les femmes adorent l'avion. Les mecs que je connais (et moi-même) ont la pétoche. Et pourtant, on ne deale pas le maté de coca.
    5
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:47
    gudule
    Belle leçon de philosophie matinale, cher frère. Du pur vécu, je suppose... Ça, faut bien reconnaître que nous sommes tous les mêmes ! Et vive la parano pourvoyeuse d'émotions !
    • Nom / Pseudo :

      E-mail (facultatif) :

      Site Web (facultatif) :

      Commentaire :


    6
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:47
    gudule
    Oh, c'est gentil, ça... malheureusement, mes solitudes s'épuisent. Et j'ai beau me creuser les méninges comme une folle, il y en a de moins en moins qui me reviennent. Dans une quinzaine de jours, j'ai peur d'être à sec.
    7
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:47
    gudule
    Ah non, j'ai jamais eu peur en avion. Pourtant, j'ai essayé ! Je me suis efforcée d'imaginer l'impression que j'aurais si l'avion tombait ; j'y arrive pas. Et pourtant, dieu sait que je suis forte pour me faire des films ! Mais ça, non. En revanche, je meurs de trouille quand un de mes proches part en voyage. Explique ça comme tu veux.
    8
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:47
    gudule
    Je te laisse l'entière responsabilité de ces statistiques, sinon, on va encore prétendre que je fais de la discrimination virile.
    9
    Odomar
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:47
    Odomar
    A la fin de cet épisode, on sent comme une légère déception.

    N'as-tu pas une espèce de besoin, voire de désir de souffrir ? Je ne dis pas maso, mais....
    10
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:47
    gudule
    Moi, maso ? Tu rigoles ! C'est pas de la déception que tu sens, mais du soulagement. Je crois que la peur du gendarme, chez moi, surpasse, toutes les autres. Comme aurait dit Brassens : si je traverse dans les clous, c'est pour ne pas avoir affaire à la police. Cet homme-là était un sage.
    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :