• GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 114

    Mange avec les rats

      Suite au pénible incident qui précède, maman changea de méthode éducative. Elle m’envoya finir mon assiette à la cave. Sans lumière, bien sûr !

             — Dès que tu auras terminé, tu pourras sortir, me dit-elle. Mais attention : si tu traînes trop, les rats affamés vont venir te grignoter les orteils. Ils raffolent de la chair humaine !

             Elle referma la porte, et une peur affreuse m’envahit. Car devant moi, en bas des escaliers, il y avait le tas de charbon. Dans l’obscurité, la faible clarté du soupirail faisait luire les « boulets », et je croyais y discerner des dizaines d’yeux brillants. Épouvantée, j’avalai mon repas en deux temps trois mouvement. Mes parents applaudirent et, convaincus d’avoir enfin trouvé la solution, récidivèrent le lendemain.

             Cependant, entre-temps, j’avais réfléchi. Si les rats avaient faim, pourquoi ne pas leur donner mon dîner ? Ce n’était, certes, pas de la chair humaine, mais peut-être se contenteraient-ils d’un steack coupé en petits morceaux ? Dominant ma peur, je descendis à tâtons et, m’approchant du tas de charbon, j’y versai le contenu de mon assiette avant de faire volte-face et de remonter dare-dare. Le lendemain, je m’enhardis même à appeler « petits ! petits ! » comme on le faisait au parc, en jetant du pain aux canards. 

             Mes parents n’y virent que du feu, jusqu’à ce que papa, en allant chercher de quoi allumer le poële, découvre les reliefs de mes repas. J’eus beau lui expliquer que je voulais juste « nourrir ces pauvres bêtes qui n’avaient rien à manger », je n’échappai pas à une méga-fessée. J’avais néanmoins acquis une certitude : la cuisine de ma mère était si mauvaise que même les rats n’en voulaient pas. Ce que je m’empressai de lui ressortir, à la première occasion !


    « GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 113GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 115 »

  • Commentaires

    1
    Mardi 10 Avril 2012 à 08:19
    benoît barvin
    Alors là... Ma famille est battue à plate couture. On dirait, même, une anecdote tirée de "Jean-Christophe" de Romain Rolland... Tes parents avaient, sans le savoir, une sacrée culture! Ceci dit, je comprends mieux ton attirance pour le fantastique... Chapeau l'artiste!
    2
    Mardi 10 Avril 2012 à 08:20
    Tororo
    Devenue grande, Maman Gudule, quand sa petite Mélanie avait été bien sage, au lieu de l'emmener au bassin des canards dans un parc surpeuplé, la faisait descendre à la cave à charbon avec une assiette de viande, et elles passaient ensemble de délicieux moments à appeler les rats: "Petits, petits..."
    J'ai bon?
    3
    Mardi 10 Avril 2012 à 14:55
    Castor tillon
    Les méthodes éducatives de maman vont de faillite en faillite. Je suis heureux que tu aies survécu pour témoigner.
    As-tu remarqué comme les mensonges éducatifs des adultes (qui nous serinent que c'est très vilain de mentir) empoisonnent et compliquent la vie déjà pleine de restrictions des enfants ? oui, hein.
    • Nom / Pseudo :

      E-mail (facultatif) :

      Site Web (facultatif) :

      Commentaire :


    4
    Mardi 10 Avril 2012 à 15:29
    Castor tillon
    Si le Bon Dieu, en supposant qu'il existe, n'a rien de plus important à faire que de s'intéresser à notre zizi, on est foutus, chère Gudule.
    5
    Mardi 10 Avril 2012 à 18:35
    Orchéon
    Enfant je ne serais jamais remonté avant d'avoir pus voir les rats, j'y serais peut être encore.
    Mais je n'aurais jamais osé dire à ma mère quoi que ce soit sur sa cuisine, j'aurais eu bien trop peur des représailles.
    Aujourd'hui, mon soucis serait plutôt de vider mon assiette rapidement si je ne veux pas que mon rat vienne réclamer ce qui s'y trouve.
    6
    Mardi 10 Avril 2012 à 19:20
    Martine27
    On en ferait autant avec les enfants maintenant, c'est direct à la case Palais de Justice ! Je suis un peu plus jeune que toi je n'ai pas "eu droit" à ce type de traitement, mais je me souviens qu'en même de certaines mises en garde qui me faisaient mourir de peur "n'avale pas les noyaux de cerise sinon il y a un cerisier qui va pousser dans ton ventre" ou "attention n'avale pas les chewing gum ça va te coller les boyaux", je dois dire que si je mange des cerises, je ne suis pas très fan des chewing gum !
    7
    Mardi 10 Avril 2012 à 19:28
    miraucourt
    Avec ce genre d'anecdotes, c'est vrai que je comprends d'où te viennent toutes ces idées que tu développes dans tes livres. Mince! J'en viens presque à regretter d'avoir eu des parents aimants. Décidément, on n'est pas aidés!
    8
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:47
    gudule
    Hé hé, c'est vrai que c'était une bonne approche de l'horreur et du fantastique ! Mes parents m'ont forgé, bien involontairement, ma future carrière... Quant à Mélanie, sa passion pour les rats n'est peut-être pas gratuite ! Ouais, Tororo, t'as presque bon...
    9
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:47
    gudule
    Et comment ! A commencer par les histoires de Vierge Marie et de petit Jésus, de Bon Dieu qui nous voit, même sur notre pot de chambre, et de démons cornus qui nous piquent les fesses si on meurt après s'être tripoté le zizi. J'ai toujours eu envie d'écrire un livre à destination des enfants, où je dénonce toutes ces supercheries malsaines. un livre pas du tout, du tout politiquement correct, évidemment... Mais l'éditeur capable de publier ça n'est pas encore né, hélas.
    10
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:47
    gudule
    Ben c'est ce qu'on nous faisait croire, quand on était gamins. Et comme les enfants se croient le nombril du monde...
    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :