• GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 113

    La viande

      Enfant, je n’avais aucun appétit. La viande, surtout, me dégoûtait. Or, ma mère était convaincue que ma survie dépendait du steack quotidien. Elle m’obligeait donc à absorber cette matière que j’estimais répugnante et qui me provoquait de violents haut-le-cœur.

             Un jour, en pleine séance de torture, la solution m’apparut, lumineuse. Pourquoi avaler, puisque c’était si pénible ? Il suffisait que je stocke le mâchouillis dans ma joue, comme le font les hamsters, et le tour était joué !

             Je me retrouvai donc avec une « chique » — mais l’assiette vide.

             — Dépêche-toi d’avaler, recommanda ma mère, en me mettant mon manteau pour m’amener à l’école maternelle.

             Et comme ma joue ne désenflait pas, en cours de route :

             — Interdiction de cracher, hein ! précisa-t-elle.

             La maîtresse, bien sûr, remarqua la chose.

             — On ne mange pas de bonbon en classe, dit-elle sévèrement.

             — Ce n’est pas un bonbon, c’est ma viande de midi. 

             — Va vite la cracher aux toilettes !

             — J’ai pas droit, maman me l’a défendu.

             Impressionnée par tant d’obéissance, la maîtresse n’insista pas. Mais à quatre heures, comme j’avais toujours ma boule, elle parla à ma mère qui, sitôt rentrée à la maison, m’envoya la cracher. Cette fois, c’est moi qui refusai. La viande, planquée dans son rabicoin, était devenue une sorte de pelote de ficelle qui ne me dérangeait pas trop. En revanche, l’idée de la faire revenir dans ma bouche, au vu et au su de mes papilles gustatives, m’horrifiait littéralement.

    `         Ils ont dû s’y mettre à deux, avec papa, pour me déserrer les mâchoires et aller récupérer le magma avec les doigts, au milieu de mes hurlements. L’on avait, en ce temps-là, une bien curieuse idée de la pédagogie !


    « GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 112GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 114 »

  • Commentaires

    1
    Lundi 9 Avril 2012 à 08:23
    benoît barvin
    Dolto et son fils RPR n'étaient pas encore passés par là, Chère Soeur. Nous avons tous connu ces moments pénibles où, dans la bouche, nappé de salive, mâchouillé mille fois, ce morceau de barbaque - ou de cadavre, c'est selon - restait collé au palais, au fond de la gorge, n'importe où mais pas dans l'estomac... sous le regard terrible du Père et de la Mère qui, eux, avaient connu la GUERRE... "Et alors, nous, nous n'avions rien à manger... mais vraiment rien... Notre estomac criait famine... Tu insultes nos morts...". Souvenirs, souvenirs, comme dirait notre ami - RPR - Hallyday.
    2
    Lundi 9 Avril 2012 à 11:04
    benoît barvin
    YEAH!!!! Soeur Gudule, avec nous!!!
    3
    Lundi 9 Avril 2012 à 13:22
    Orchéon
    je me souviens d'après midi entiers seul devant mon assiette, manchonnant cette boulette filandreuse qui ne voulait pas passer, avec interdiction de sortir de table tant que je ne n'avais pas mangé cette viande. mes jours de revanches c'était les soirs ou j'étais punis, au lit sans manger, ouf une corvée de moins.
    4
    Lundi 9 Avril 2012 à 19:53
    cali rezo
    oh my god.. je me souviens de cette langue de boeuf qu'on m'avait forcé à manger à la cantine, en primaire... A l'heure où a sonné la reprise des cours de l'après-midi, j'ai pu sortir de là et enfin cracher, moi aussi, cette boule ignoble....
    De la langue sur ma langue... impossible !
    5
    Mardi 10 Avril 2012 à 03:59
    Castor tillon
    Je sens qu'on fait tous partie du même club. C'est bon de se sentir intégré !

    J'avais 5 ans, et j'étais à la crèche (si si, je me rappelle, impossible d'oublier ça). Du mouton au menu de midi, une viande au goût bien trop fort pour des petits. Impossible d'avaler sous peine de refile, et impossible de cracher sous peine de sévices. Je suis allé à la sieste et j'ai dormi deux heures avec cette chique malodorante. Les nanas de la crèche ont fini par me faire cracher.
    Pouah.
    6
    Mardi 10 Avril 2012 à 08:35
    Tororo
    Encore un souvenir partagé! Le steak quotidien obligatoire dans les familles-dont-les-parents-ont-connu-la-guerre, on dirait que c'est un grand classique... et cette incapacité physique d'avaler la boulette mâchée et remâchée, brrrrr! Elle revient dès que j'y pense. J'aimerais avoir des souvenirs gustatifs aussi précis des bons moments culinaires de l'enfance (les oreillettes toutes chaudes de la Chandeleur, par exemple) mais... non.
    7
    Mardi 15 Juillet 2014 à 23:48
    Mélanie
    Erf, que de mauvais souvenirs pour moi ! Je n'en mange plus de viande aujourd'hui :D
    8
    Jeudi 17 Juillet 2014 à 23:00
    Mêo
    Ah faut toujours avoir un chien sous la table.
    La mienne m'a beaucoup aidée...
    9
    Jeudi 17 Juillet 2014 à 23:51
    Gudule
    Ah mais ouiiii ! Mais mes parents ne voulaient pas d'animaux.
    10
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:47
    gudule
    Y aurait-il d'obscures connivences entre les gens de droite et cet acte, barbare s'il en est, de consommer la chair d'autrui — cet autrui qui, comme nous, possède quatre membres, deux yeux, deux oreilles, et une langue pour crier quand il souffre ? Mais alors... tout s'éclaire ! Le capitalisme n'est qu'une métaphore de cannibalisme primaire ! Les financiers ne sont que des chasseurs dont nous sommes le gibier, et c'est de nos tripes qu'ils se bâfrent ! Mélenchon président, foutremol ! Et que vivent les lapins, les biches, les sanglier et les cochons de payants !
    11
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:47
    gudule
    Et comment ! (N'en déplaise au saint siège, à ses pompes et à ses œuvres)
    12
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:47
    gudule
    Nos parents avaient un certain génie pour transformer un plaisir pur en cauchemar, faut dire. Et le pire, c'est qu'ils n'en avaient même pas conscience...
    13
    Odomar
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:47
    Odomar
    C'est un truc très humain : les bourreaux qui ont le sentiment d'agir pour le BIEN de leurs victimes...
    • Nom / Pseudo :

      E-mail (facultatif) :

      Site Web (facultatif) :

      Commentaire :


    14
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:47
    gudule
    Eh oui : qui aime bien châtie bien, la devise SM, fut longtemps la base de l'éducation. Ça fout les jetons...
    15
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:47
    gudule
    Incroyable à quel point ce "sévice ordinaire" a été pratiqué, et a marqué les esprits. J'en viens à me demander, comme Benoît, pourquoi nous ne sommes pas tous devenus végétariens. Les raisons de cet absurde acharnement à faire manger de la chair morte à des enfants, que leur instinct ne porte pas à l'absorption de telles substances, est fort troublant, je trouve. Le pouvoir emprunte parfois des voies drôlement perverses !
    16
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:47
    gudule
    Hi hi, bienvenue au club, Tororo !
    17
    Nadege
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:47
    Nadege
    Pareil que tout le monde sauf que j'appartiens à la génération suivante >__<<br />
    PS : je suis depuis devenue végétarienne.
    18
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:47
    gudule
    Alors là, bravo ! Au moins, tu es cohérente !
    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :