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GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 106
Le choc des cultures
Quand je suis partie au Liban avec mon nouveau-né, j’avais un visa de tourisme valable trois mois. Ce laps de temps écoulé, je me rends à la préfecture de Beyrouth pour le faire prolonger. L’employé me reçoit avec courtoisie, mais au moment de remplir le document ad hoc, il s’informe :
— Où est le père de l’enfant ?
— Il n’en a pas, réponds-je, un peu gênée (on est dans les années 60, quand même.)
— Comment ça ? s’étonne lourdement l’employé. Tous les enfants ont un père, voyons !
— Pas le mien.
Le brave homme se gratte la tête. La chose, à l’évidence, dépasse son entendement. Il n’y a donc pas de mères célibataires, en Orient ?
— J’ai besoin du nom du père, insiste-t-il.
— Mais puisque je vous dis qu’il n’existe pas !
— Ça signifie quoi « il n’existe pas » ? Il me faut un nom, moi, dans la case « chef de famille ».
— Mettez-le mien.
L’employé lève les yeux au ciel. À l’évidence, il me prend pour une demeurée.
— Le vôtre, il est ici, soupire-t-il, en soulignant de l’ongle des caractères arabes que je ne peux déchiffrer. Et la ligne en-dessous est réservée à votre mari.
Sentant que le dialogue de sourds risque de s’éterniser, je lance d'un ton lugubre, moitié par provoc’ moitié par lassitude :
— Il est mort.
Et là, son visage s’éclaire :
— Pourquoi ne l’avez-vous pas dit plus tôt ?
Il remplit sa petite case, range le document dans un tiroir, puis tamponne mon passeport et me le tend avec un : « sincères condoléances » venu du fond du cœur.
Désormais, pour toute l’administration libanaise, je suis veuve.
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Commentaires
1castor tillonLundi 2 Avril 2012 à 23:17Répondre3OdomarVendredi 29 Août 2014 à 13:48
J'ai souvent pensé répondre aux vendeurs intempestifs par téléphone qui demandaient à me parler : "Il n'habite plus ici. Il est mort". Ton histoire m'encourage à le faire pour de bon.4guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:485guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:48
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