• grands moments de solitude 102 (tome 2)

                                                     Aux portes de la jungle

     

           Ecuador, 1985. Après avoir franchi la Cordillère des Andes par des routes cahotantes perchées au-dessus du vide, le bus atteint enfin le poste frontière de la Selva *. Les douaniers montés à bord ayant lancé des ordres en kechua, les voyageurs se lèvent et les suivent docilement.

         — Reste ici avec les bagages, me dit Sylvain, je m’occupe de la paperasse. J’en ai pour une minute.

         — Pourquoi ? Qu’est-ce qu’ils nous veulent ?

         — Oh, rien du tout : ils notent les noms et les adresses de toutes les personnes qui pénètrent dans la forêt vierge. Au cas où l’une d’entre elles disparaissait, ça faciliterait les recherches.

         Confiante, je me réinstalle et m’arme de patience quand le bus effectue une manœuvre imprévue. Plutôt que d’attendre la fin des formalités, il plante là ses passagers et repart en sens inverse.

         Complètement paniquée, je bondis sur mes pieds et interpelle le conducteur dans un sabir mi-franglais, mi-espagnol :

         — Eeeh ! Que faites-vous ? Où allons-nous ?

          Il me répond quelque chose que je ne comprends pas, avant de prendre une route de traverse. Et je vois avec effroi disparaître la guérite, la foule agglutinée autour — et Sylvain, auquel je fais en vain des signes désespérés.  

         Une trouille bleue me tord les entrailles. Moi qui n’ai vraiment rien d’une aventurière, me voilà seule, sans papiers, sans argent dans un pays dont je ne parle même pas la langue, et en route pour une destination inconnue.

         Par chance, mon angoisse est de courte durée. Quelques instants plus tard, le bus fait demi-tour et regagne sa place. Il s’était éloigné pour laisser passer d’autres véhicules.

         N’empêche que j’ai cru ma dernière heure venue.

         Ce qui a bien fait marrer Sylvain.

         Et m’a incitée, dès le lendemain, à étudier des rudiments de kechua — que je me suis, par la suite, empressée d’oublier.

     

                                        * La forêt vierge

     

    « grands moments de solitude 101 (tome 2)grands moments de solitude 103 (tome 2) »

  • Commentaires

    1
    Mercredi 24 Septembre 2014 à 00:22

    La joie de Sylvain a dû être de courte durée.

    2
    Vendredi 6 Février 2015 à 17:30

    Ouh, oui, il y a des moments glaçants parfois, à ces hauteurs !

    Ton histoire en est un bel exemple !

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :