• grands moments de moments de solitude 106 (tome 2)

                                                  La vie est un petit cinéma de quartier

     

             Ma première réaction, quand Sylvain s’éteignit, fut de vider ma maison de toute trace de médocs. Il y en avait des dizaines de boîtes que j’entassai pêle-mêle dans un grand sac plastique et remis aux infirmières,  de service cette nuit-là.

             — Je ne veux plus voir ça, leur dis-je — ce qu’elles comprirent.

             Ma deuxième réaction fut de chasser de mon esprit le décor récurrent de mes cauchemars : couloirs d’hôpital, ascenseurs, salles d’attente, urgences, box d’IRM, de scanner, de radiothérapie ; et même la machine à café de l’accueil, qui faisait, pour vingt centimes, des capuccinos si crémeux. Il me semblait urgent de rendre à mes nuits leur virginité en les débarrassant de l’univers médical qui,  depuis tant d’années, me happait à chaque fois que je fermais les yeux.

             Ma troisième réaction fut d’effacer Albi de ma carte mentale : cette ville n’existait  pas, elle n’avait jamais existé, et je n’y avais pas déambulé pendant des heures, en relisant Voltaire pour que le temps passe plus vite, pendant que Sylvain était au bloc ou en chimio.

             Ce grand ménage accompli, je pus enfin respirer, mais mon soulagement fut de courte durée. Trois mois plus tard, je déclarais à mon tour un cancer, et la ronde infernale recommença de plus belle. J’eus droit aux mêmes symptômes, aux mêmes médecins, aux mêmes traitements (dont je connaissais déjà les effets ravageurs), aux mêmes pronostics  exagérément optimistes. Bref, je me farcis le film pour la seconde fois, comme dans les cinémas  permanents  de mon enfance, où la séance passait en boucle.

             Déjà, à l’époque, je n’aimais pas ça.  Une certaine lassitude me  saisissait à mi-rediff, ;  je profitais des séquences  qui m’avaient ennuyée à la première vision pour aller faire pipi. Seules les scènes d’amour me motivaient, en fait. Elles, je ne m’en lassais pas, et, toutes répétitives qu’elles fussent. J’en redemandais.

             Comme dans la vie réelle, quoi.

            

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  • Commentaires

    1
    Joëlle
    Jeudi 25 Septembre 2014 à 20:40

    La razzia post médicale ("je ne veux plus voir..;" je comprends très très bien. Mais très. Pour les rediffs aussi, d'ailleurs. C'est nul, les rediffs. Quoique je crée dès ce soir et ici celles dont on peut changer la fin. 

    2
    Jeudi 25 Septembre 2014 à 22:47
    3
    Vendredi 26 Septembre 2014 à 19:00

    Voui, le comique de répétition, ça va un moment. Je ne vais pas faire pipi, mais par contre, ça me fait ch... chaque fois la même chose.

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    4
    Vendredi 26 Septembre 2014 à 20:27

    toujours dans la dentelle, mon castor préféré ! (remarque, chier dans la dentelle, ça a son charme ; c'est même comique, à la limite !

    5
    Jeudi 9 Octobre 2014 à 21:58
    Tororo

    Ah, je comprends maintenant pourquoi les GMDMDS ont fait, le temps de quelques billets, la part belle au pipi. La nature, on ne lui commande qu'en lui obéissant.

    6
    Jeudi 9 Octobre 2014 à 22:20

    votre sens de l'observation me surprendra toujours, cher Tororo !

     

    7
    Vendredi 6 Février 2015 à 17:47

    Ouais, niveau scénario, la vie fait parfois de mauvais remakes...

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