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FOLLE D'AMOUR
Chapitre 1
— Sont-ils mignons, ces deux-là !
Penchée à sa fenêtre — du haut de laquelle, depuis trois-quarts de siècle, elle observe et commente les mouvements du village —, Marie-Jeanne sourit. Ce petit couple fait fondre son vieux cœur. Lui, avec ses allures de chien fou, elle, minuscule et claudiquante. Et cette manière qu'ils ont de jacasser, de pouffer, de se taquiner à tout propos sans que rien, jamais, n'enraye leur connivence...
D'où viennent-ils, le cabas à la main ? De l'épicierie, sans doute. À moins que ce ne soit de la boulangerie ou du tabac — voire des trois à la fois, c'est peut-être un jour faste. Où vont-ils ? Chez eux, enfouir leur butin, vite vite fermer la porte, et on les entendra rire à travers les murs.
Ils interrompent leur babillage pour lancer d'une même voix :
— Bonjour Marie-Jeanne !
Elle, de sa grande bouche rouge, lui, sous sa moustache de cocker. Elle, avec son déhanchement clip-clop et ses cheveux dans les yeux, lui, perché sur des guiboles démesurées. Elle, tout en rondeurs délicates, lui, trimbalant une ossature aigüe qui affleure, par endroit, sous la peau ; l'arrête du nez, le menton, la pomme d'Adam, les clavicules... autant de mâts tendant, à la presque percer, la fine toile du derme.
— Bonjour, les enfants, répond Marie-Jeanne.
Les enfants ! Ils ont presque soixante ans à eux deux !
Déjà, ils s'éloignent. De dos, leur harmonie est encore plus flagrante. Elle trottine, clip-clop, pour rester à sa hauteur. Il ralentit, calque son pas sur le sien, chacun contrecarrant sa foulée naturelle pour adopter celle de l'autre. Au carrefour, ils empruntent le petit chemin de terre qui s'insinue entre les prés. Cents mètres à patauger dans la gadoue, et voilà leur maison.
Une maison, ça ? Cet agglomérat d'appentis branlants ceignant une bâtisse trapue, en pierre brute, envahie de lierre et semi-éboulée ? On peut vivre là-dedans ?
Oui-da. On y vit, on y aime, à l'abri du monde et des intempéries. Mieux : l'on s'émerveille d'y être aussi bien. La forêt à droite, à gauche, le verger où paît le poney, derrière, un rideau de verdure cachant la nationale. Et une paix sans nom lorsque descend le soir.
Cadeau.
Merci qui ?
Merci, le bonheur.
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Commentaires
1TororoVendredi 8 Février 2013 à 08:31Répondre6guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:377guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:378NadègeVendredi 29 Août 2014 à 13:379guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:3710NadègeVendredi 29 Août 2014 à 13:3711guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:3712Pata lVendredi 29 Août 2014 à 13:37
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