• FOLLE D'AMOUR

    Chapitre 78

      Résumé des chapitres précédents : Nora, n’ayant rien de mieux à faire, va admirer de près la grève de métro. Fascinée par la faune urbaine, elle s’amuse à jouer les anthropologues.

     

             — Quel bordel !

             Quelqu'un — quelqu'une, plutôt —  a pris place à côté de  Nora sans que celle-ci, tout à ses pensées, s'en aperçoive.

             — Oui, répond-elle machinalement.

             — Bien fait pour eux, qu'ils crèvent ! ajoute-t-on.

             Et on ricane.

             Nora se retourne. Sa voisine est une petite vieille tout à fait déroutante. Quelque quatre-vingts printemps mais une dégaine primesautière : minijupe, socquettes, baskets.  Et trois cheveux gris tirés en queue-de-cheval par un gros chouchou jaune.

             — Tous des cons, insiste la nouvelle-venue. Qu'ils aillent au diable !

             Remake de la scène précédente, identique au détail près. La rame arrive, cohue, bousculade, pleurs et grincements de dents.

             — Et de deux, dit Nora.

             — Deux quoi ?

             — Je compte les métros.

             — Ben t'as pas fini : il en passe cinq cents par jour.

             — Pas aujourd'hui, c'est grève.

             — Hin  hin, s'esclaffe la vieille.

             — Ça vous amuse que ce soit grève ? 

             — Ça m'amuse que les cons en chient.

             — Vous n'aimez pas les gens ?

             — Est-ce qu'ils m'aiment, eux ?

             Voilà qui demande réflexion. Tout d'abord, est-elle attachante? Petit minois chafouin, ridé au-delà du supportable, œil peu amène, et cette provocation dans la tenue, ces airs de lolita du troisième âge, mal élevée de surcroît. Non, franchement, rébarbative. Repoussante, même, n'ayons pas peur des mots. On ne peut que comprendre les gens.

             — Vous avez bien des amis ? tergiverse Nora.

             La vieille hoche la tête.

             — Ouais, mes copines.

             Rassurée, Nora, jugeant le débat clos, reprend ses observations. Un jeune cadre dynamique vient de pénéter dans la station. Est-ce un chef de tribu ? Il en a bien l'allure. Fier, altier, le front levé vers l'avenir, et l'uniforme des maîtres de l'univers : complet-veston-cravate. (Pas de pochette, en revanche : Anne n'a pas encore colonisé cette région. Réconfortante constatation.) À la main, l'insigne de sa charge : un attaché-case (ou un PC portable, Nora n'est pas absolument fixée sur ce point). Que le pouvoir rend beau, saperlipopette ! Cet homme-là est auréolé de magnificence, on sent que rien ne lui résiste. Il n'a qu'un geste à faire et le métro rapplique. Un, deux trois... Ben, qu'est-ce qu'il attend ? Ah,  je sais : il ne veut pas gaspiller ses précieuses énergie pour susciter ce qui, de toute façon, est inéluctable, et se résout à patienter, comprimé mais clément.

                                                                                                                                            (A suivre)

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  • Commentaires

    1
    Vendredi 26 Avril 2013 à 08:01
    Benoît Barvin
    Soeur Gudule l'anthropologue, a encore frappé! Et bien, une fois de plus. Que de souvenirs remontent à la mémoire lorsqu'on lit ces pages métropolitaines... Il y manque juste, peut-être, cette odeur caractéristique de corps suant dans leur jus, mêlée au tabac froid, aux relents de pets et autres joyeusetés excrémentielles... Mais cela ne saurait tarder, je suppose... De bon matin, en Province, ça fait du bien de lire une si poétique description!
    2
    Vendredi 26 Avril 2013 à 09:11
    Tororo
    Tiens, c'est drôle, j'ai l'impression de l'avoir rencontrée, la voisine primesautière de Nora.
    3
    Vendredi 26 Avril 2013 à 18:46
    castor tillon
    Ouiii, je l'ai déjà vue, cette lolita senior du métro, quand j'allais dans le quartier Hôtel de Ville/Magenta, je crois. Elle n'avait pas de queue de cheval, mais des couettes.
    Mais je n'ai pas vu Nora.
    4
    Samedi 27 Avril 2013 à 02:07
    castor tillon
    C'est cette solitude-là :
    http://gudule.over-blog.com/article-grands-moments-de-solitude-232-112151662-comments.html#anchorComment
    5
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:35
    gudule
    La vôtre, de description, est parfaite, je trouve, cher Benoît. On sent (!) tout de suite l'ancien usager. Mais je me refuse à penser qu'il y a un brin de nostalgie, dans cette envolée olfactive !
    6
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:35
    gudule
    j'en parle déjà dans un "Grand moment de solitude", mais je suis sûre que de nombreux usagers l'ont rencontrée, au détour d'une station ou d'une autre. Elle hantait les couloirs du métro dans le courant des années 80...et n'est que l'un des nombreux personnages "réels" de ce roman !
    7
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:35
    gudule
    je le savais je le savais je le savais, tu me l'avais dit quand je l'avais évoquée dans un "Grand moment de solitude". Je t'avais prévenu que tu retrouverais des têtes connues dans ce roman...
    8
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:35
    gudule
    Castor, t'es le meilleur ! J'avais la flemme de le rechercher dans les archives de mon blog et tu l'as fait pour moi... Qu'est-ce que je ferais sans toi ?
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    9
    Pata l
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:35
    Pata															l
    Eh, eh, j'aurais bien aimé la rencontrer, cette guest là ! Parce que oui, dans le métro, vivent aussi de sacrés personnages !
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