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CONTES À VOMIR DEBOUT 8
Intégration non sélective
Ce fut Géraldine qui m’apprit la nouvelle : les anticorps étaient lâchés. Les médias ne parlaient que de ça, depuis la veille.
— Qu'est-ce que c'est encore que cette connerie ? m’écriai-je, réfractaire par nature à toute innovation.
— La brigade chargée d’assainir le pays. Des mecs génétiquement modifiés et surentraînés.
— Ils ont de drôles d'allures. Regarde-moi ces tronches obtuses ! Ces mâchoires ! Ces dents ! On va les envoyer dans les rues sans muselières ?
Géraldine, agacée, leva les yeux au ciel.
— Bien sûr, puisqu’ils ingèrent tous les éléments non conformes.
Leurs premières victimes furent les Immigrés.
— Normal, m’expliqua Géraldine. La fonction d'un anticorps est, avant tout, de débarrasser l'organisme de toute intrusion étrangère.
J’étouffai un soupir. Je pensais à Gaëtan, le patron du Rasta-bar. Son reggae, ses tipunchs et ses soirées créoles allaient me manquer. Ainsi, d’ailleurs, que l'épicier libanais, si pratique pour les p'tits creux nocturnes, et les « Tout à dix francs », paradis des smicards...
— De quoi te plains-tu ? reprit Géraldine, que mon manque d’enthousiasme énervait. Plus de contrôles au faciès, de garde à vue arbitraires, de camps de rétention, de charters... Absorber purement et simplement ses marginaux, n’est-ce pas le rêve de tout système digne de ce nom ?
Vint ensuite le tour des séropositifs, des Juifs et des drogués. En trois coups de mandibules, les porteurs de VIH, de kippa et de seringues furent éliminés, suivis par tout ce qui, de près ou de loin, s’apparentait à une minorité sexuelle. Outre les gays, lesbiennes, partouzeurs, voyeurs et autres pervers polymorphes, disparurent, de la sorte, d’honorables institutions dont le nom prêtait à confusion : le SPIF (syndicat des pédicures d'Ile de France), l'ACFA (amicale des collectionneurs de fétiches arumbayas) et l'AAA (association des amis des animaux) qui comptait vingt-sept millions de membres...
Quand la population fut réduite de moitié, nous pensâmes de bonne foi que les anticorps étaient rassasiés. Hélas, il n’en était rien. Conformément à l'adage selon lequel la faim vient en mangeant, ils s’envoyèrent successivement les chômeurs, les séminaristes, les chanteurs de rock, les propriétaires de voitures de plus de cinq ans d'âge, les fans de Paul-Loup Sulitzer, les hackers, les bickers, les RMistes et les cadres supérieurs parfumés au vétiver. Quand ils s’en prirent aux femmes de moins d'un mètre soixante, je crus ma dernière heure venue. Par chance, grâce à mes talons hauts, j’en réchappai de justesse, et courus me planquer avant qu’ils ne s’attaquent aux porteuses d’escarpins.
C’est ce qui m’a sauvée.
Aujourd'hui, il ne reste plus personne. Les anticorps, après avoir fait table rase de tout ce qui vivait, se sont entredévorés. Et depuis des jours et des jours, j'erre dans les rues désertes, cherchant sans trève ni repos où, sacré nom d'un chien, ils ont bien pu chier ce qu'ils ont bouffé. Si j'arrive à trouver l'endroit, je me sentirai moins seule. La merde, j’ai l’habitude. Ça me rappellera mon ancienne société...
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Commentaires
1Benoît BarvinMardi 15 Janvier 2013 à 09:39Répondre
Arriver à inclure trois gros mots dans un commentaire aussi court, c'est inadmissible. Par ma faute, y a des agités de la recherche sur Google qui vont atterrir ici.4guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:385guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:386guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:387NadègeVendredi 29 Août 2014 à 13:38
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