• CONTES À VOMIR DEBOUT 3

    Passion d’amour

                 Les êtres qu'on aime vous modifient, au fil du temps. C'est la magnifique loi des destinées humaines. Moi, par exemple, j'étais jadis d’une nature colérique. J’explosais pour un oui pour un non, je claquais les portes, je cassais la vaisselle, je hurlais des insanités. Mais par respect pour mon Henri, dont mes emportements heurtaient la sensibilité, j'appris à me dominer. À présent, je conserve mon calme en toute circonstance, et me ferais hacher menu plutôt que d’élever la voix.

                De même, j'étais brune. La blondeur qui, aujourd'hui, m'auréole, je la dois à Firmin. J'ai sacrifié ma tignasse de gitane, fierté de mon adolescence, aux appétits de cet amateur de Suédoises. Ce qui me valut, je n’ai pas peur de le dire, quelques nuits inoubliables.

                C'est comme mon visage. Nul ne devinerait, en me regardant, que mes traits d'origine sont aristocratiques : nez busqué, pommettes hautes, menton saillant, œil petit mais vif. La chirurgie esthétique a fait des pas de géant, ces vingt dernières années. Le minuscule appendice nasal de modèle dit « à la retroussette » dont m'a gratifiée un virtuose du scalpel, mes joues botoxées, ainsi que l'implant de cils synthétiques ourlant les cicatrices de mes larges orifices oculaires, font de moi la sosie d'Elisabeth Montgomery dans Ma sorcière bien-aimée.  Cette métamorphose est le reflet du goût immodéré de Luc pour les feuilletons américains des années soixante.

                Et mes jambes ? Que leur est-il arrivé, à mes jambes ? C'est Paul, fana de parapente qui, m'entraînant dans son trip,  les  réduisit, un beau matin de juillet, à l'état de moignons. L'air était pur, le soleil brillait, nous planions dans l'azur limpide tels de blanches mouettes. Ma rencontre inopinée avec une ligne à haute-tension me tira brutalement de ma béatitude. Lorsque, six mois plus tard, je quittai l'hôpital au bras de mon chéri, c'était radieuse et dans une chaise roulante. Je n'aurai plus jamais d'ongles incarnés, merci, amour !

                Quant au poumon d'acier dans lequel, aujourd'hui, repose ma carcasse, il m'évoque — avec quelle émotion ! — le très cher souvenir d'Albert, le pyromane qui embrasa mon cœur avant de mettre le feu à mon appartement, tandis que je lui préparais des pets-de-nonnes à la crème.

                Qu'eût été ma vie sans les Bien-Aimés qui, tels des météores, la constellèrent ? Un parcours inodore, incolore, insipide — voire désespérant. Je serais peut-être aujourd'hui une quinquagénaire brune, anguleuse, valide et aigrie. Rien que d'y penser, j'en frémis d'horreur. Une vie sans amour ne vaut pas la peine d'être vécue. La mienne fut un feu d'artifice, et ce n'est pas fini. Il me reste encore des bras à immoler, des yeux, un foie, une rate, un anus... O divines perspectives ! Et ceci jusqu'à l'ultime passion qui fera exploser mon cœur, dispersant tous azimuts mes lambeaux exultants, dans une apothéose de bonheur.

                Le destin d'une femme aimante est vraiment formidable !


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  • Commentaires

    1
    Mercredi 26 Décembre 2012 à 07:54
    Tororo
    Deal! Pour des pets-de nonnes à la crème, je fais exploser votre cœur, très chère. Et après je passe l'aspirateur.
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    2
    Mercredi 26 Décembre 2012 à 09:44
    Benoît Barvin
    Belle métaphore, Chère Soeur, qui remporte l'adhésion, à ce que je vois...
    3
    Mercredi 26 Décembre 2012 à 10:11
    Castor tillon
    Oui, qu'eût été ma vie sans les Trop-Aimés qui, tels des matamores, la consternèrent ?
    Je me joins au concert d'acclamations, ça c'est tapé.
    4
    Jeudi 27 Décembre 2012 à 12:37
    Castor tillon
    C'est vrai, quoi. Et depuis l'invention du kleenex, on n'a même plus droit au "mouchoir de fine batiste". Quand c'est pas les éditrices qui nous emmerdent, c'est la modernité.
    Sérieusement, je ne conçois pas comment on peut écrire un bouquin sans quelques expressions toutes faites qui peuvent être marrantes dans le contexte. Mais "dans le contexte" est aussi un lieu commun, alors c'est compliqué de leur expliquer ça.
    5
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:39
    gudule
    Ma mère avait raison : on attrape les chiens par la queue et les hommes par l'estomac. C'était quelqu'un ma mère !
    6
    Sebastien Sonet
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:39
    Sebastien Sonet
    Elle est géniale celle-ci !!!
    7
    Nadege
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:39
    Nadege
    C'est drôle moi j'ai fait le contraire du dicton de votre mère :D
    8
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:39
    gudule
    Merci, Seb. J'étais sûre que tu aimerais cette petite chose sucrée !
    @ Nadège : perso, je suis assez de ton avis, mais ma mère était une sacrée puritaine...
    @ Je suis une grande romantique, tu le sais bien !
    9
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:39
    gudule
    Oups, le commentaire est parti trop vite. Je reprends :
    @ Benoît : Je suis une putain de grande romantique, tu le sais bien !
    @ Castor : comment peut-on faire des jeux de mots dans un instant d'émotion pareil ? Tu es incorrigible !
    10
    Odomar
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:39
    Odomar
    J'aime bien l'expression "hacher menu" qui vient tout droit des contes de fées... Souvent, c'était même "hacher menu comme chair à pâté".
    11
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:39
    gudule
    Hi hi, moi aussi, j'adore ce genre d'expression qui a une histoire. Pourtant, dans les années 80-90,les éditrices les traquaient sauvagement dans mes manuscrits, et à côté, elles marquaient en rouge "lieu commun" avec trois points d'exclamation. Je devais me battre pour avoir le droit de garder, de temps en temps, ce que ces crétines considéraient comme une faute de style.
    12
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:39
    gudule
    Je dirais même plus : un certain nombre d'expressions sont tellement ancrées dans notre inconscient qu'elles nous ramènent aussitôt à des émotions d'enfance tout à fait réjouissantes. Les feuilletons, les polars et les contes, en particulier, en sont truffés ; se référer, en les utilisant, à une grande tradition littéraire, est à la fois un acte d'humilité et un hommage culturel. J'ai dit.
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