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CONTES À VOMIR DEBOUT 24
Un amour dévorant
Ça lui fondit dessus un matin, en se regardant dans la glace de la salle de bains : le coup de foudre. Un désir proprement indécent pour le type au fond du miroir, avec sa barbe de la nuit, ses valoches, son pyjama rayé et son érection matinale. Hébété par la violence de ses sentiments, il passa la main sur ses joues râpeuses.
— Que je suis beau, souffla-t-il, ébloui.
En proie à une passion aussi brutale qu’inattendue, il s'abattit sur le lit en s'étreignant à perdre haleine. Tandis que des caresses de plus en plus audacieuses investissaient son corps, les mots d’amour s'écoulaient de sa bouche telle une lave brûlante — ce qui décupla encore sa libido. Jamais personne n'avait autant perdu la tête entre ses bras !
Quand le premier orgasme le tétanisa, il comprit que les choses ne s'arrêteraient pas là. Ce n’était pas une aventure sans lendemain, qu’on oublie sitôt la braguette refermée. Quelles qu'en soient les conséquences, il irait jusqu’au bout de cette relation.
— Que je m’aime, que je m’aime, que je m’aime, chantonna-t-il d’une voix tremblante.
Il fixait sa main droite avec concupiscence. Comme elle était docile et prête satisfaire tous ses caprices ! Et ces doigts, ces doigts, prodigieux outils érotiques... Quelle agilité ! Il les fit jouer un à un, les étira, les referma, mimant, muscle après muscle, la démarche de l'araignée. Puis, saisi d'une pulsion incontrôlable, il les embrassa goulûment.
Or, du baiser à la morsure, il n'y a qu'une pression de mâchoire. Ses dents, bientôt, pénétrèrent dans la chair. Lorsque la première goutte de sang jaillit, il eut une nouvelle érection. Après tout, pourquoi pas ? Se soumettre aux instincts sadiques de l'être aimé procure, chacun le sait, des sensations hors norme, de troubles et ardentes jouissances. Surtout si on est soi-même un tantinet maso !
Au premier lambeau de peau arraché, il sut que rien, désormais, ne l'arrêterait. Les prochaines heures allaient être chaudes...
Le soir, quand son épouse rentra du boulot, il ne restait plus grand chose de lui. Elle commença par s'évanouir, puis reprit ses esprits, histoire de s'assurer qu'elle n'avait pas rêvé. Non, aucun doute possible, ce petit tas sanglant était bien son mari. D'ailleurs, à part le nez sectionné et les oreilles mâchouillées, la tête était intacte et suçait gloutonnement un œil, encore arrimé au fond de l'orbite par son tendon tirebouchonné.
— Chéri, s'écria-t-elle, que t'est-il arrivé ?
— H'ai hécouvert h'amour ! lui répondit-il, la bouche pleine.
Et la flaque blanchâtre dans laquelle baignaient ses résidus — se résumant, précisons-le, à un système génito-digestif et à un petit tas d'os soigneusement curés, où l'on pouvait reconnaître des bras, jambes, clavicules, fémurs, côtes, colonne vertébrale, plus un menu fretin de phalanges, phalangines et phalangettes —, la flaque blanchâtre, dis-je, témoignait sans conteste de sa sincérité.
La pauvre femme en fut malade de jalousie.
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Commentaires
1Benoît BarvinSamedi 2 Février 2013 à 09:43Répondre
Le récit d'un grand amour partagé (surtout en tant de morceaux) m'a toujours tiré des larmes. Un être qui se mâchouille les oreilles avec autant de passion a exploré le dépassement de soi avec une fougue digne du plus grand respect.
Ça fait un peu peur, cependant. J'ai confiance en moi, mais je vais quand même ôter cette chemise à manches bouffantes.
Et je vais jeter tous mes Barbara Cartland. Gudule a changé à jamais dans mon âme et dans ma bibliothèque la face de la littérature romantique.3guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:384guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:38
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