• CONTES À VOMIR DEBOUT 19

    Gontrand-la-chance, c’est moi !

             Cette évidence me sauta aux yeux il y a quelques jours, aux caisses de la superette. Je venais d'acheter une baguette, un pot de confiture et un litre de lait — grosso-modo pour huit euros de marchandise. Je tendis un billet de dix à la vendeuse qui me rendit trois pièces d'un euro.

             Maîtrisant mon émotivité naturelle, je réussis à empocher les sous comme si de rien n'était et m'éloignai d'un pas tranquille. Mais une fois dehors, je n'eus rien de plus pressé que de recompter fébrilement ma monnaie, pour m'assurer que je n'avais pas rêvé. Eh oui, elle m'avait bien rendu UN EURO DE TROP ! De bonheur, je faillis embrasser les passants dans la rue.

             Et là, d'un seul coup, je pris conscience de la veine incroyable qui me poursuivait depuis ma naissance. Le bilan était ahurissant : jalonnant ma route tels les pétales de roses semés sur le passage d'une procession, les cadeaux du destin m'apparurent. Et je criai « merci la vie ! » à pleine voix.

             Un exemple au hasard : à quatre ans, pendant l'enterrement de ma mère, j'avais trouvé un chewing-gum, dans le cimetière. Et tout emballé, s'il vous plait ! A la framboise, ceux que je préfère. Je revis mon émerveillement d'enfant, en enfournant gloutonnement la friandise tandis que le curé prononçait l'oraison funêbre. Tout le monde pleurait, et moi, je mâchais, je mâchais... Ce délicieux souvenir, jamais je ne l'oublierai.

             Et la fois où le lycée avait brûlé (je devais avoir une quinzaine d'années), me cramant le visage au troisième degré et me défigurant à jamais. Coup de bol insensé, là encore : l’un des pompiers avait en poche une photo dédicacée de Jonnhy Halliday. Jonnhy, mon idole ! Pour me réconforter, il me l'avait donnée. J'en aurais pleuré de joie.

             Et à l'hôpital, pendant qu'on me soignait. Je hurlais de douleur, et soudain, qui avais-je vu entrer dans ma chambre ? Je vous le donne en mille : la reine Fabiola de Belgique. Si, si, je vous assure ! Elle était en voyage officiel à Paris et visitait justement l'établissement hospitalier où je me trouvais. Vue de près, elle était encore plus sexy que sur les photos de Paris Match !

             Et la fois (j'avais vingt-deux ans et j'étais en pleine période contestataire : je truandais dans le métro) où, molestée par un contrôleur trop nerveux, je m’étais effondrée sur les rails au moment où la rame passait. Qu'est-ce que j'avais trouvé sur le balast, avant de m'évanouir ? Un ticket tout neuf, que je m’étais empressée d'utiliser, une fois sur pieds (enfin, si j'ose dire : il avait fallu m'amputer des deux jambes et je circulais en fauteuil roulant).

             Et le jour où le Concorde était tombé sur mon immeuble, qu''avais-je récupéré, au milieu des décombres ? Un plateau-repas encore sous cellophane, contenant une macédoine de légume dont la date limite n'était pas dépassée. Evidemment, vu le trauma qui m'a rendue anorexique durant de longues années, je n'avais pas pu en profiter, mais tout de même :  on ne peut pas nier que j'aie le cul bordé de nouilles !

             Je pourrais continuer ainsi à l'infini. J'ai presque honte d'être aussi privilégiée quand je regarde la misère autour de moi. En ce moment, tenez, la guerre nucléaire fait rage. J'entends mes voisins agoniser sous les ruines fumantes de leur maison. Eh bien, vous me croirez si vous voulez, mais sur le gazon où je gis, baignant dans mon sang, je viens de découvrir un trèfle à quatre feuilles. Aucun doute possible : Gontrand-la-chance, c'est moi !

     

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  • Commentaires

    1
    Lundi 28 Janvier 2013 à 08:40
    Benoît Barvin
    Je n'ai plus de chapeau à vous offrir, Chère Soeur. C'est bien dommage, ce texte illustrant à merveille la pensée Zen suivant laquelle: "Ne regarde pas le bout du tunnel, puisqu'il n'existe pas, mais le bout de tes orteils qui te permettront de marcher jusqu'à l'épuisement"... Enfin, c'est un truc dans ce goût-là. Superbe journée grâce à ce texte. Je sens que je vais oser me faire une tisane à la badiane...
    2
    Lundi 28 Janvier 2013 à 18:11
    Castor tillon
    Avoir un prénom aussi bien féminin que masculin, c'est déjà un grand départ dans la vie, si d'aventure, plus tard, on veut transsexuer.
    Visiblement, une escadrille de fées s'est penchée sur le berceau de cette petite. C'est pas à moi que ça arriverait : quand j'ai gagné 70 millions à la loterie, il a fallu que j'en donne un et demi au fisc. Pff. Toujours les mêmes qui ont le cul bordé de jambon.
    3
    Lundi 28 Janvier 2013 à 19:36
    Castor tillon
    @ Gudule : Pour ce que j'en sais, Gontrand s'emploie aussi bien pour un garçon que pour une fille. Sans e, chère auteure.
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    4
    Lundi 28 Janvier 2013 à 20:49
    Castor tillon
    Ouais, c'est très marrant. Bah, y a bien des femmes qui s'appellent Léo...
    5
    Lundi 28 Janvier 2013 à 21:03
    Castor tillon
    Ils ne s'appellent pas tous Martin, ça console.
    6
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:38
    gudule
    La badiane favorise l'optimisme ?
    7
    Gabrielle
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:38
    C'est une façon d'être optimiste ça...

    (J'aime bien ces contes a vomir debout)
    8
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:38
    gudule
    @ Castor : Euh, tu veux parler de Gontrand, comme prénom féminin ? Ben si j'aurais su, j'aurais mis Gontrande !
    9
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:38
    gudule
    @ Gabrielle : Ben l'optimisme, des fois, c'est l'ultime sauvegarde contre les vacheries de l'existence, hein ! Si ce conte devait avoir avoir une morale (mais les morales, j'aime pas trop ça), ce serait celle-là !
    10
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:38
    gudule
    Sans blague ? T'es sérieux, là ? Mademoiselle Gontrand, ça fait quand même un peu bizarre, non ? Comme la madame Bertrand de Charlebois !
    11
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:38
    gudule
    C'est pas vraiment pareil, demande à Victor Hugo ! Léopoldine, Léonie, Léonce, Léonora,ont toutes Léo comme diminutif. Ceci dit, ça doit être assez drôle d'avoir un nom de garçon. J'ai une copine qu'on appelle Léon... En revanche, je connais un Anne, et ça, c'est nettement plus dur à porter !
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