• CONTES À VOMIR DEBOUT 15

    Caca-bonheur

             Le jour où j’ai rencontré Géraldine, elle sortait d'une sanisette. Elle semblait si heureuse que je ne pus détacher mes yeux de sa frêle silhouette bondissante. Le bonheur d’autrui m'a toujours réjoui. Elle croisa mon regard, me sourit, puis, avec des vibratos dans la voix, délara :

             — Ah ! Je me sens mieux !

              C'était une bonne entrée en matière, je trouve. Nous fîmes quelques pas de concert.

             « L'intestin mène vraiment le monde », me disais-je en mon fort intérieur.

             Je me trompais lourdement. Ce n’était pas une banale déjection organique qui illuminait la charmante créature. C'était l'évacuation de ses névroses.

                Ainsi m’apprit-elle que le maire de Paris, conscient des miasmes mentaux qui obstruaient les tripes de ses administrés*, avait fait construire ces « cabinets psy », destinés à les soulager.

             —T’as trois vidanges au choix, de 5 à 20 euros, mais  la moins chère suffit, pour un patient moyen.

             — C’est-à-dire ?

             — Des gens comme toi et moi, affligés d'une rétention de 300 à 400 grammes de troubles nerveux, paranos, traumatismes et autres phobies banales.

             — Et comment ça se passe ?

             — Rien de plus simple : un monnayeur automatique te délivre une pilule purgative, tu l’avales, et dans les trente secondes, tu éjectes tout ce qui t’encombre l’esprit. Tu devrais essayer, c’est divin ! 

             N’ayant rien de mieux à faire, je suivis son conseil. Eh bien, je puis vous dire qu’elle avait raison. Quand je sortis de là, j’étais un autre homme. Envolées, mes révoltes ! Disparues, mes indignations ! Volatilisés, mes coups de gueule et mes hurlements de rage ! La bienfaisante panacée m’avait libéré de toutes mes insatisfactions. Pour la première fois de ma vie, je me sentais totalement intégré au système...

                Un sourire béat sur les lèvres, je rejoignis le troupeau des citoyens heureux, aux côtés de Géraldine. En une longue procession extasiée, nous parcourûmes les rues de la capitale. Le soleil brillait dans les gouttelettes de pollution suspendues au-dessus de nos têtes, et le parfum suave des pots d'échappement enchantait nos narines. Quels instants de paix infinie ! Je me souviens avoir embrassé, dans un grand élan de reconnaissance, la main d'un flic munie de sa matraque tutélaire...

                Bref, j'ai bien failli me faire avoir.

                Heureusement, le cycle digestif est un éternel recommencement. Dès le lendemain, les fèces de la colère revinrent encombrer mes boyaux. Mais je n'ai jamais refait usage des sanisettes. Je me retiens, je me retiens... Je préfère mille fois mon mal de bide aux pamoisons radieuses du néant. Et s'il ne reste qu'un seul constipé dans cette société de merde, je serai celui-là !

     

     * Ceux que les villes font chier ne sont pas concernés, évidemment !

     

    « Toutes mes pensées à toi, DylanVIVEMENT AVRIL, POIL AU NOMBRIL ! »

  • Commentaires

    1
    Jeudi 24 Janvier 2013 à 08:54
    Benoît Barvin
    Intelligent détournement... Dans le réel, ce sont les émissions dites de "divertissement" qui fonctionnent comme des purgatifs de la colère... C'est plus retors.
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    2
    Jeudi 24 Janvier 2013 à 14:06
    Castor tillon
    Soyons onctueux ! Ou le maire de Paris se prend pour le père de Marie. Et encore, je te dis pas ce qu'aurait imaginé la maire d'Houilles.
    Pour avoir vécu un temps à Paris, j'ai souvent expérimenté l'état de rage du narrateur. Notamment en trouvant une prune sous l'essuie-glace de ma voiture alors que j'avais passé la journée à nourrir le parcmètre. Ces salauds de flics arrivent toujours à trouver la bonne plage horaire.
    3
    Jeudi 24 Janvier 2013 à 14:38
    Castor tillon
    Effectivement, on pourrait en mettre des pages jusqu'à faire crasher Overblog. Je suis en train de réveiller mémé Georgette, là !
    4
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:38
    gudule
    Exact ! Mais à l'époque, je remettais aussi la psychanalyse en cause, comme vecteur d'intégration sociale. A tort ou à raison ? Va savoir...
    5
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:38
    gudule
    Et puis y a pas que ça, y a tout le reste : les contrôles au faciès, la politique en général, les discours merdiques, les médias manipulées, etc, etc. De quoi se faire un ulcère avant l'âge !
    6
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:38
    gudule
    Exact, mais elle ne dort jamais que d'un œil. Que dis-je ? Elle est insomniaque !
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