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CONTES À VOMIR DEBOUT 14
Romance
Je rencontrai Antoine sur un relai d’autoroute. Il prenait de l’essence, et moi, je faisais du stop. Dès que je l’aperçus, je sus que je le suivrais jusqu'au bout du monde.
Je m’approchai de lui, le sourire aux lèvres.
— Salut !
Il répondit à mon sourire avant de proposer aimablement :
— On va boar un cou?
— Quoi ?
Du doigt, il m’indiqua la terrasse du bar. Je lui emboitai le pas et nous nous installâmes entre un car de Hollandais et une famille nombreuse.
Quand le garçon arriva, Antoine commanda :
— Une Pèleforte, cil vou plé.
— Pardon ? fit le garçon.
— Café, soupira Antoine d'un petit air malheureux.
— Deux, ajoutai-je.
— Deux cafés, ça marche !
Tandis qu’il s’éloignait, je m'enquis :
— T'es de quelle nationalité ?
— Franssè.
— Ah bon ? T’as un accent bizarre.
— Cé pa un accen, cé dé fote dortograf.
Comme je le regardais d’un air incrédule, il me raconta son histoire. Une histoire terrible, pathétique (et que je dus lui faire répéter plusieurs fois, pour tout comprendre). À quinze ans, suite à une tentative de suicide, il avait passé trois mois dans le coma et était resté handicapé de l'orthographe. Une séquelle rarissime. Il ne pouvait plus parler qu'en phonétique, d’où ses problèmes de communication.
— Je me san parfoa oçi seul ke si jétè sure une il dézerte, conclut-il douloureusement.
Moi, j’étais remuée de fond en comble. D'autant qu'il louchait sur mon décolleté.
— Et si tu n'utilises que des mots simples, sans diphtongues, sans lettres muettes ni doubles consonnes ? suggérai-je, pour cacher mon trouble.
— Pipi, caca, Rémi a ri, Toto a tué sa tata, me répondit-il dans un souffle. Sa limit la converssassion, tu trouv pa ?
— Bah, parler par gestes, c’est pas mal non plus...
Afin de le convaincre, je me jetai dans ses bras. Nous nous roulâmes une pelle d'enfer, et je puis vous assurer que, malgré son handicap, sa langue fonctionnait à merveille !
La famille nombreuse, en revanche, n’apprécia guère.
— Je vous en prie, jeunes gens, pas devant les enfants ! brailla la mère. Il y a des hôtels pour ça !
— Ben koa, onfé rien dmal, répliqua gentiment Antoine.
— Et c’est un étranger, en plus, dit le mari. Rentre dans ton pays, espèce de métèque, au lieu de lécher la pomme de nos gonzesses à nous !
Ça, ça ne plut pas à Antoine. Du tout du tout.
— Va te faire foutre, pauvre tache ! répliqua-t-il dans un français parfait.
J’ouvris des yeux comme des soucoupes.
— Cé la seul chauze que je praunonsse korecteman, lé zinsultes, m’expliqua-t-il, un peu gêné.
Entretemps, le couple, dégoûté, avait remballé sa marmaille et regagné son camping-car.
— Délinquants ! Drogués ! Pornocrates ! nous hurla la mère comme ils démarraient.
— Conasse ! Morue ! Pue-des-artères ! riposta Antoine aussi sec.
Alors moi, éblouie :
— Oh, qu’est-ce que tu parles bien, mon chéri ! Sois sympa, dis-moi des trucs comme ça pour moi toute seule...
Antoine me prit au mot. Toute la nuit qui suivit, il me susurra tendrement :
— Grosse vache... Peine-à-jouir... Enflée du bulbe... Fesse d’huître... Crampe-au-gland... Tunnel sous le manche... (J’en passe, et des meilleures.)
Depuis, on ne se quitte plus. On sèm. On è eureu.
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Commentaires
1Benoît BarvinMercredi 23 Janvier 2013 à 08:34Répondre
Même Benoît qui a un parler si exquis a l'air d'en savoir plus que moi...
Les magistrats, en découvrant certains de ces sacs étaient tentés de s'exclamer : " Pff, mais quelle merde, putain !", mais ils émettaient un sobre "sac-à-papier !" embarrassé et étouffé, pour ménager les oreilles des dames présentes.7guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:388guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:389guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:38
@ Castor : c'est qu'il cache bien son jeu, ce cher Benoît. On lui donnerait le Bon Dieu sans confession, mais en réalité, Satan l'habite !
Ceci dit, sac-à-papier, j'aime beaucoup : c'était le juron du comte de Champignac !10guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:38
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