•  

                                     Harry Baur

     

          Dans le courant des années 90, un metteur en scène dont j’ai oublié le nom se lança, en partenariat avec l’éducation nationale, dans l’adaptation de La Bibliothécaire. Outre la narration pure et simple de l’histoire, ce film comportait un certain nombre d’interventions de l’auteur (c’est-à dire moi) : en gros, une dizaine de mini-séquences anecdotiques où je développais ma pensée, mes intentions, et donnais aux jeunes spectateurs les clés pour décrypter l’intrigue et ses symboles.

           Or, comme l’une de ces scènes se déroulait dans le petit cimetière de Montmartre, l’équipe de tournage en profita pour m’indiquer l’emplacement de la tombe d’Harry Baur où étaient stipulées les circonstances horribles de sa mort.

           Bouleversée par ces révélations, je demandai à l’accessoiriste la superbe couronne mortuaire qui figurait dans le film afin de la lui offrir.

           Cet hommage accompli, je m’en fus l’âme en paix, avec le sentiment d’avoir exprimé ma gratitude à l’admirable comédien dont le jeu dans Volpone m’avait tant enchantée.

    Cette rencontre restera à jamais gravée dans ma mémoire.

     


    1 commentaire
  •  

                                           Victor

     

             Frédéric était un enfant très tendre, un petit cœur affamé d’amour, si bien qu’il demandait sans cesse à son entourage :

              — Est-ce que tu m’aimes ?

             Personne, bien sûr, n’aurait eu la cruauté de lui répondre « non », sauf Victor.

            Victor, c’était le neveu d’Alex, un garçonnet de six ans beau comme le jour, dont les profonds yeux noirs vous perçaient jusqu’à l’âme.

             — Tu m’aimes ? demandait Frédéric.

             — Non, répondait Victor ; et Frédéric pleurait (ce qui me donnait envie d’étrangler l’affreux gnome).

             Sur ces entrefaites, Olivier naquit, et, mes parents, fraîchement débarqués de Belgique pour fêter l’événement, organisèrent un baptême en grande pompe.

             Rituel maronite oblige : Fred et Victor furent embauchés par le curé comme porte-cierges ; si bien que, muni chacun d’une bougie allumée, ils escortèrent le nouveau-né jusqu’aux fonds baptismaux. Et ce qui devait arriver arriva.

             — Tu m’aimes ? demanda Frédéric à son compère

             — Non, répondit Victor.

             C’était un « non » de trop. Saisi d’une colère noire, Fred, qui subissait ces camouflets depuis des mois, eut une réaction que j’approuvai sans réticence : il cassa son cierge sur la tête du goujat. Ce dernier ayant riposté, un combat homérique s’engagea et l’on put voir une boule de fureur rouler, emberlificotée, le long de la nef centrale, sous les gloussements de rire de l’assistance.

             Saisis au collet par le sacristain, les deux trublions furent éjectés manu militari et le saint lieu profané retrouva sa quiétude.

             Y a-t-il une relation de cause à effet entre l’athéisme viscéral d’Olivier et cet incident fameux ?


    2 commentaires
  •  

                                Oups ! Ça m'a échappé !

     

             Alors là, j’y comprends plus rien. De l’avis général, les enfants sont de plus en plus violents. Les profs se font agresser pendant les cours, des bandes de minots hauts comme trois pommes tabassent des clodos et même, des fois, commettent des crimes. Dernière affaire en date : le bébé dégommé à coups de pierres par deux prépubères, à Bonifacio. Pas exprès, mais bon.

             Tout le monde s’indigne, normal. On dit : « Les enfants d’aujourd’hui n’ont plus le sens des valeurs, c’est la faute aux parents démissionnaires. » Moi, je veux bien, mais y a quand même deux trois trucs qui me troublent…

             « La chasse est victime de la désaffection des jeunes », affirment les sociétés de chasse. La moyenne d’âge des tueurs de lapins, de biches et de petits oiseaux se situe entre 58 et 62 ans — des papis flingueurs, quoi ! Monsieur Jean Grala, président de l’association de gestion cynégétique d’Equerchin et du groupement d’intérêt cynégétique du Douaisis (ça signifie qu’il est chasseur en chef, je suppose) se demande avec angoisse :  « Mais où qu’elle est, la relève ? Pourquoi ces petits trous-du-cul préfèrent-ils fumer des pétards en lisant des mangas que pratiquer de sains divertissements de plein air ? » Du coup, il lance un appel aux bons pères de famille : faut qu’ils initient le plus tôt possible leurs mômes aux joies de la chasse. En gros, qu’ils leur mettent un fusil dans les pattes et leur apprennent à s’en servir.

             Et ce n’est pas tout ! Vous connaissez Michelito ? C’est le fils de Michel Lagravère, un ancien torero qui lui a donné précocement le goût du sang. À dix ans, ce petit Mozart de la banderille galvanise les foules. Or, il vient d’être, par deux fois, interdit d’arène en France « pour raisons de sécurité ».Son père est indigné ! « Mon fils joue simplement avec une cape et des muletas, comme les 300 enfants inscrits dans les écoles taurines françaises », affirme-t-il. En revanche, quand il se produit en Amérique latine, Michelito, qui torée depuis l’âge de six ans, participe activement à des spectacles de mise à mort !

             Le plaisir de tuer ne s’apprend jamais assez tôt !

     


    votre commentaire
  •  

                                          Sarajevo

     

             1995, encore. La France affrète un convoi pour Sarajevo, dans lequel, outre du matériel sanitaire,  elle embarque des écrivains et des dessinateurs censés initier les écoliers serbo-croates aux voluptés de la littérature pour la jeunesse. Comme nous logeons chez l’habitant, les organisateurs nous conseillent d’offrir à nos hôtes des cadeaux « bien parisiens », en remerciement de leur hospitalité. Yann Autret, mon illustrateur favori, se munit d’une grande boîte de chocolats tandis que  j’achète, pour la sexagénaire qui nous accueille, un flacon de « Chanel n° 5 » auquel, d’ailleurs, elle ne touchera guère. (le parfum de Marilyn s’harmonise assez mal avec le look grand-mère, en général (blouse à fleurs, bas de contention, pantoufles en feutre gris, écharpe et gilet tricotés main.)

             Viennent le jour et l’heure de la rencontre avec les mômes ; pas un chat dans la salle de conférence. Personne  n’a été averti, ni n’a lu nos albums, envoyés pourtant par cartons entiers. Et comme nous ne parlons pas la même langue, impossible de présenter notre travail aux intéressés (ce qui était quand même le but du jeu, au départ. Sinon, à quoi bon, s’offrir des « p’tites vacances » sur le compte des organismes caritatifs ?)

             Laissons cette vilénie aux rapaces médiatiques. Encore une chance que Yann ait apporté des tas de carnets dans ses bagages. Chaque gamin repartit avec un dessin rigolo à punaiser au-dessus de son lit. Et ça au moins, c’est de l’humanitaire !


    votre commentaire
  •  

                                  Salon de Beyrouth

     

            1995. Nous étions quelque chose comme une demi-douzaine ; la petite délégation culturelle française. En tête de l’expédition, le professeur Jacquard, homme de tous les dangers, toujours présent lorsque la dignité humaine était bafouée. Amélie Nothomb, égérie de la francophonie était là également, ainsi qu’Yves Simon, Michel Omfray et André Cardinali, le gendre de Jacques Prévert, venu présenter l’expo itinérante de feu son beau-père.

     

             A peine avalé l’apéro de bienvenue, chacun d’entre nous gagne sa chambre d’hôtel pour un p’tit brin de fraîcheur. C’est là que dix minutes plus tard, quelqu’un frappe à ma porte.

             — Oh Jacques !

             Mon frère aîné, qui vit toujours dans la capitale libanaise, a suivi de près les opérations ; sa voiture nous attend en bas pour une mini-balade dans mon ancien quartier (l’Achrafieh d’après-guerre dont la plupart des magnifiques immeubles coloniaux sont en ruine).

             Nous voilà partis en catimini à travers la ville encombrée de milices, de guérites et de camions militaires débordant de soldats en armes. Bref, après un détour par la famille et les amis, mon frère me ramène à l’hôtel où la voix d’Yves Simon m’accueille d’un âcre :

             — Ah enfin, Gudule, te voilà ! Où étais-tu passée ? On n’attendait que toi pour aller manger !

             — Nous avons craint que tu te sois fait enlever, ajoute le professeur Jacquard.

             Tout en rejoignant mes petits camarades, j’explique la situation : à savoir que je vais lâchement les abandonner, ma belle-sœur ayant préparé des wara-hanab* en mon honneur. Or, la cuisine de ma belle-sœur est, à n’en pas douter, la meilleure du monde, et ça, à mes yeux, nom d’un chien, c’est sacré !

             Le lendemain matin, au petit-déjeuner que je prends en tête à tête avec Albert Jacquard, ce dernier m’apprend qu’à treize heures, nous sommes attendus à l’ambassade de France pour un mezzé couleur locale que je n’ai pas intérêt à louper sous peine d’incident diplomatique ;

             Et tiens, à ce propos, nous y avons eu droit, à l’incident diplomatique, mais cette fois, ce n’était pas mon fait, c'était celui de l’ambassadeur qui avait mal appris sa leçon.

             Durant le petit speech d’ouverture des festivités, il déclara :

             — Mon équipe et moi-même remercions chaleureusement l’auteure québécoise Amélie Nothomb qui nous honore de sa présence.

    En écho à cette confusion géographique, une sorte de sirène s’élève dans le silence : Le rire suraigu d’Amélie Nothomb qui s’empresse de rappeler que la Belgique est partenaire privilégiée de l’événement culturel qui nous réunit tous ici.

             Quant à notre hôte, il n’est pas au bout de ses pataquès ;

           — Et n’oublions pas la remarquable exposition du conteur pour enfants Jacques Prévert, conclut-il avec aplomb.

             Là, c’est André Cardinali qui réagit au quart de tour :

             — Conteur pour enfants ? s’indigne-t-il haut et fort. Vous parlez d’un écrivain du patrimoine, monsieur ! L’une des plus grandes gloires des lettres françaises !

     

                                       * Wara-hanab : feuilles de vigne farcies


    votre commentaire