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                               Je suis comme une pluie qui goutte

    (toutes mes excuses à feu Claude Duneton pour le détournement de son  titre, mais je n'ai pas pu résister)

     

             Quand, vers douze ans, quelques poils frisottants firent leur apparition sur mon pubis, d’horribles soupçons m’assaillirent. Les autres filles de mon âge présentaient-elles les mêmes symptômes ? Ou étais-je la seule à être affectée de cette pilosité particulièrement mal placée ?

              L’époque étant à la pudeur extrême, nulle information ne vint éclairer ma lanterne. Avec ma mère, on ne parlait jamais de « ces choses-là, » (comprendre : « ce qui se situait sous la ceinture »), avec les copines non plus (nous avions dépassé l’âge du touche-pipi). Le dictionnaire familial n’y faisait aucune allusion, et ni Victor Hugo, ni Jules Verne, ni James Oliver Curwood (mes auteurs favoris) n’abordaient la question dans leurs livres.

               Puis sortit le film de Jacques Baratier, Dragées au poivre, et, comme toute ma classe l’avait adoré, je pris prétexte d’une révision chez une amie pour aller le voir en cachette. Alors là… alors là ! Paf, sans préambule, une scène de strip-tease, et un petit minou noir dans l’échancrure d’un porte-jarretelles ! On m’aurait montré le Bon dieu en personne, que je n’aurais pas été plus heureuse. Ainsi, j’étais donc normale ? Même les stars de cinéma avaient de la fourrure à cet endroit. En plus, elles l’exhibaient devant les caméras. Ce n’était donc pas honteux, mais plutôt excitant, à ce que je crus comprendre.

              C’est depuis ce temps-là que je suis cinéphile.

     

     


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                                     Gudule fait son cinoche

     

              Notre amie Gudule a déjà commis 114 conneries depuis le début de ce tome 2. On va la laisser souffler un peu avant de repartir à l'attaque, et laisser également reposer nos zygomatiques avec ce petit intermède cinématographique : un court extrait des "deux orphelines vampires", de son ami Jean Rollin, cinéaste et directeur de collection pour les romans "frayeur".

    Cliquez sur l'image. La bobinette cherra, la vidéo en marche se mettra :

    Gudule mère supérieure

     

     

              Mélanie, alias Mélaka, fille de Gudule, fait également une apparition dramatique dans ce film. Elle boit et fume en cachette, ce qui est formellement prohibé par les bonnes sœurs. Elle ne l'emportera pas au paradis.

             Mélanie se trouve à l'extrême-gauche dans l'extrait. Mélanie est toujours à gauche.

    Cliquez sur l'image :

    Mélanie

     

     

           Castor tillon

     

     


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                                                 Le nom des gens

     

             Notre administration est la plus simple du monde. Surtout en ce qui concerne l’accueil des étrangers. Prenons une famille libanaise, par exemple. Suite à la guerre de 1975, un père et ses trois fils immigrent en France, où vivent déjà une grande partie de leurs proches. Quelques années plus tard, ayant travaillé, consommé, procréé, payé des impôts — bref rempli leurs devoirs de citoyens modèles —, ils obtiennent la nationalité française, et c’est là que tout se complique. Leur nom d’origine étant El-Khoury (Le Médecin, en arabe), l’employé de la Préfecture orthographie correctement celui du père, traduit au préalable par un interprète assermenté. En revanche, son fils aîné devient Elkouri, le second Elkourry et le troisième, allez savoir pourquoi, Elcourin. Et comme ils protestent, on leur rétorque que s’ils ne sont pas contents, ils peuvent toujours rentrer dans leur pays. Toute négociation s’avérant impossible, force leur est donc d’accepter cette dépossession d’eux-mêmes arbitraire (et stupide), et de se contenter des identités disparates qu’on leur a imposées. Une chance qu’il n’y ait pas eu d’héritage à la clé, parce que ça aurait foutu une sacrée merde, vous pouvez me croire ! Faut dire que les immigrés sont rarement fortunés…

            

             Deux des fils, par la suite, devinrent célèbres, l’un comme musicien, l’autre en tant qu’écrivain ; mais tous deux sous pseudo. Quant au troisième, ayant terminé ses études de médecine, il ouvrit un dispensaire à Barbès, où tout le monde continua à l’appeler el Khoury — ce qui, heureusement, lui mit du baume au cœur.

     


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                                    "Un cœur avec du poil autour"

     

             C’est à Brigitte Bardot que nous devons cette définition du chien, ô combien godiche, mais tellement touchante. Et tellement drôle, surtout, quand on se reporte au passé de la dame et à l’empreinte qu’elle a laissée dans son sillage. Ma mère, si elle s’était permis des écarts de langage, eût employé ces mots pour qualifier l’actrice qui, à ses yeux, incarnait le vice à l’état brut. Au Moyen-Âge, elle l’eût sans état d’âme envoyée au bûcher, mais la très sainte Inquisition ayant vécu, l’époque était plutôt à la miséricorde.

             — Si tu ne sais pas quoi faire, dis une petite prière, me suggérait maman lorsque je m’ennuyais.

    — Une prière pour quoi ?

    — Ce que tu veux ; la conversion de B.B., par exemple. Imagine que, grâce à toi, cette pécheresse se repente et entre au couvent. Ce serait magnifique, non ? Et tu aurais ainsi gagné ton paradis !

             Dans un premier temps, le défi me plut. Je mis donc les bouchées doubles et devins d’une ferveur sans faille. Toujours fourrée à l’église, toujours en train de marmonner des patenôtres, je tournais carrément mystique. Par bonheur, Sacha Distel passa par là, puis Jacques Charrier, Gilbert Bécaud, Roger Vadim, Jean-Louis Trintignant… et tant d’autres jolis garçons dont les portraits ornaient les pages de Ciné-revue ! Il n’en fallait pas plus pour ébranler mes certitudes et faire vaciller ma détermination.

             « Finalement, me dis-je, c’est une chance que Dieu ne t’ait pas exaucée. Si cette pauvre fille était devenue bonne sœur comme tu le souhaitais, tu vois ce qu’elle aurait raté ? »

    Dès lors, privilégiant les agréments terrestres, je fichai la paix au Ciel et remisai mon chapelet sous une pile de journaux people (comme on dit aujourd’hui)

     

    Brigitte Bardot me doit une fière chandelle !

     


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                                                        Gigot, t'es cuit !

     

             Olivier était l’adolescent le plus cool de la terre — enfin, à la maison. En classe, c’était une autre paire de manches. Il avait un problème avec l’autorité. Que dis-je, un problème ? un rejet viscéral, une insurmontable aversion. Bref, en un mot comme en cent, mon fils était « autoritophobique ». Souffrant pour ma part, d’un syndrome similaire, je ne pouvais décemment pas le lui reprocher. Mais bon, c’était un fait indéniable : mon délicieux fiston devenait incontrôlable sitôt franchi le seuil du collège.

             Ce double visage — dont je mis longtemps à prendre conscience —, m’apparut dans toute sa complexité, le jour où le directeur, M. Gigot, nous convoqua, Alex et moi.

                — Votre fils s’est rendu coupable à mon encontre d’un acte de vandalisme de nature insultante, nous annonça-t-il tout de (gi)go. J’espère que vous prendrez les mesures qui s’imposent.

    Et, ni une, ni deux, il nous entraîna devant le mur du C.D.I. que recouvrait un grand drap blanc, destiné à masquer ce qu’il y avait dessous.

             Et, dessous, qu’y avait-il ? Je vous le donne en mille.

             Une fresque.

    Dessinée par Olivier.

    Que d’un geste solennel notre mentor dévoila, comme on dévoile une œuvre d’art dans une galerie.

    Nous en eûmes, force m’est de l’avouer, le souffle coupé, non par la beauté de l’œuvre en question, mais par l’audace de son sujet.      

             « Que représentait-elle donc, cette fameuse fresque? » vous demandez-vous sûrement.

             Un couple, ni plus ni moins ; un couple très tendre. M. Gigot, reconnaissable à sa grosse barbe noire, en train de sodomiser le surveillant général, petit maigrichon chauve aux dents proéminentes.

             En guise de signature, une écriture que nous connaissions bien avait soigneusement calligraphié ces mots : « Gigot, t’es cuit ! »

             Aussi incongru que cela paraisse, nous éclatâmes de rire.

             Le directeur nous foudroya du regard.

    — Ça vous amuse ? lâcha-t-il, glacial. Eh bien, je ne vous félicite pas.

             A l’évidence, il s’attendait à tout sauf à cette réaction.

    — Olivier est doué pour la caricature, enchaîna placidement Alex. On devrait peut-être l’inscrire aux Beaux-Arts. Qu’en penses-tu, chérie ?

             J’approuvai d’un hochement de tête. Notre interlocuteur, qui nous examinait en alternance à travers ses lunettes de myopie, finit par demander :

    — Quelle profession exercez-vous, monsieur ?

    — Dessinateur de BD, répondit Alex, avant d’ajouter (avec une évidente jubilation) :

    — … au journal Hara-kiri.

    Une sorte de soulagement indigné passa sur les traits de M. Gigot. Ah, il comprenait mieux, là! Au moins notre attitude était logique. Inacceptable, certes, mais cohérente. Et qu’on ait procréé un voyou de cette trempe ne le surprenait guère.

    — Et vous, madame, quel est votre métier ? interrogea-t-il en se tournant vers moi, dans l’espoir illusoire de trouver une alliée.

             — Euh… rédactrice dans la presse gay.

             L’espace d’un instant, je crus que le pauvre homme allait péter les plombs, ou a minima éclater en sanglots. Mais il se ressaisit, se leva, et, nous montrant la porte, glapit d’une voix rauque :

             — Je vous ferai parvenir d’ici une quinzaine la facture des travaux de réfection.

    Olivier, qui nous attendait dans le couloir, nous emboîta aussitôt le pas, sans commentaire mais le cœur léger.

    Aujourd’hui, il est écrivain, comédien, chanteur, humoriste, et de nombreux établissements scolaires l’invitent à rencontrer les collégiens, pour leur parler de ses débuts. Inutile de préciser que ces petites conférences ont beaucoup de succès.

     


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