•  

                                           Hospitalité

     

             Etant donné les préjugés de mes parents — pour qui le mariage était sacré, indissoluble, et le divorce prohibé à l’extrême —, je leur cachais soigneusement mes problèmes conjugaux. La distance entre Paris et Spa (où ils vivaient) facilitant cette dissimulation, ils ignoraient qu’Alex et moi, après une rupture houleuse, avions refait nos vies chacun de son côté. Aussi, quand ils venaient nous rendre visite (tant que leur état de santé leur permettait encore de voyager), je prétendais que mon mari était en déplacement. Nos enfants, soigneusement briefés, jouaient le jeu, et Sylvain s’éclipsait quelques jours. Oui mais, pour aller où ? À la rue ? À l’hôtel ? Chez des potes ? C’était là que le bât blessait.

    ­         — Et pourquoi pas à la maison ? proposa Alex à qui nous faisions part de notre embarras.

    La cohabitation se déroula sans encombres. Désormais, tous les trois ou quatre mois, Sylvain s’octroya une petite semaine de vacances chez mon ex. Vacances d’autant moins contraignantes qu’ ils étaient tous deux férus de poker et profitaient de l’occasion pour s’adonner à leur hobby jusqu’à pas d’heure.

     

             J’aurais pu ajouter, pour la beauté de l’histoire, qu’ils s’éprirent follement l’un de l’autre, mais ce ne fut pas le cas. En tant qu’auteur, je le déplore ; mais pas en tant que femme. C’eût pourtant été une sacrée solitude, au sens propre comme au figuré !

     


    7 commentaires
  •  

                         La ronde des marionnettes (fabliau en quatre actes)

     

             Du plus loin que je me souvienne, les marionnettes m’ont toujours fascinée. Cette passion date, je crois, du film Lili, avec Leslie Caron et Mel Ferrer, que Marraine m’avait emmenée voir à sept ans. Par la suite, je découvris avec ravissement le théâtre de Toone et sa taverne médiévale, Petite rue des Bouchers, à Bruxelles. Dès que je pouvais m’échapper de chez mes parents, je courais me réfugier dans cet antre magique, aux murs couverts d’une armada carnavalesque sortie tout droit des toiles de James Ensor* ou des meilleures pages de Michel de Ghelderode*. On pouvait, pour quelques centimes, y boire un bock de Gueuze (ce qui ne me tentait guère) ou y manger des tartines de fromage blanc assaisonné de radis et d’échalotes. En y repensant, j’ai encore sur la langue le goût frais de la macaye* et dans le cœur l’émerveillement de ces tête-à-tête avec les grandes poupées de bois qu’animait à loisir mon imagination.

     

             Le deuxième acte se passe au Liban, où il était de bon ton, dans les familles friquées, de louer les services d’un amuseur public, pour animer fêtes et anniversaires. L’un de ces animateurs se nommait René T. et avait travaillé pour la TV française (le Nounours de « Bonne nuit, les petits, c’était lui ).

             Ce jour-là, flanquée de ma marmaille, Frédéric, quatre ans, et Olivier, deux ans et demi, je débarque à l’improviste chez mon frère aîné qui a deux filles du même âge. Comme il est au bureau, sa femme vient ouvrir et, en m’apercevant, fait la grimace.

             — Je ne peux pas te recevoir, j’ai du monde, s‘écrie-t-elle.

             En effet ; et si je ne m’abuse, ce « monde » s’amuse beaucoup. Par la fente de la porte me parviennent des rires enfantins, ainsi qu’une voix pointue au parler rigolo.

             Frédéric, attiré par cette voix comme par un aimant, se glisse à l’intérieur avec un cri de joie :

             — Maïonneeeettes !

             — Non, non, non, il n’y a pas place pour toi, proteste sa tante en le rattrapant par la capuche. Tu reviendras demain jouer avec tes cousines.

             ­Ni une, ni deux, elle me le fourre dans les bras où il se débat comme un beau diable.

             — Tu ne veux pas qu’il assiste au spectacle ? m’étonnai-je.

             Et elle, tout à trac :

             — Non mais tu as vu comme il est fagoté ? Pas question que j’impose ça à mes invités. Ce sont des notables, tu sais. Il y a même les neveux du président Hélou.

             Que faire, sinon embarquer ma progéniture et tourner dignement les talons ?

             Nous sommes allés manger des glaces sur la Corniche, ce qui a séché les larmes de Frédéric et fait gazouiller son petit frère. N’empêche que cette éviction, je ne l’ai pas oubliée. Nous en avons souvent reparlé, par la suite. Est-ce en compensation que Frédéric, une fois adulte, m’a offert tant de marionnettes (pour Noël, mon anniversaire, ses retours de voyage, de brocante, etc) ? Je me suis souvent posé la question — à défaut de la lui poser, à lui. Toujours est-il que, comme la taverne de jadis, les murs de ma maison servent de présentoir à tout un petit peuple de bois et de chiffon cher à mon cœur.

             Une semaine plus tard, René T. auquel je narrais notre mésaventure, nous offrit gracieusement une représentation qui ravit mes enfants. Il en profita pour me proposer de m’apprendre le métier, et même de m’engager comme assistante, ce que je refusai, par manque de temps. Mais je lui écrivis une vingtaine de sketchs qui firent les beaux jours de la hight society libanaise des sixties.

     

             Le quatrième acte se déroule dans le Tarn où j’ai découvert récemment qu’un de mes amis belges, aujourd’hui à la retraite, était l’ancien marionnettiste de Toone. La coïncidence m’a charmée.

     

     

             Quant à la belle-sœur vireuse d’enfants, ma rancune, sans doute, la poursuivra jusqu’à la mort.

     

     

    * Peintre du XIXème siècle, spécialisé dans les représentations de masques et de carnaval

             * Ecrivain fantastique

             * Macaye : fromage blanc (en wallon)

     

     

    Marionnettes 2

     

     

     


    7 commentaires
  •  

         June Moore est une auteure canadienne de romans populaires à succès. Émue par le dernier livre de Gudule, "Le bel été", elle lui a dédicacé le volume 2 de sa trilogie "Étreinte".

         Il est extrêmement touchant de savoir que tout là-bas, dans la Belle Province, une personne pense à notre Gudule avec tendresse, et lui consacre ce délicat hommage.

                   Merci, June.

     

    June Moore dédicace

     

    June Moore couv

     


    16 commentaires
  •  

                                  Les paradis artificiels

     

             Ma mère, qui avait été, tout au long de sa vie, pétrie d’a priori, changea, sur ses vieux jours. Rigoureuse — voire rigoriste —, adepte forcenée d’une alimentation saine et naturelle, elle se laissa gagner par les « vices » de l’époque que son esprit défaillant n’était plus à même de contrer. Prenons le Coca-cola, par exemple, qu’elle vouait depuis toujours aux gémonies.  

            — Le Coca, c’est le diable, répétait-elle souvent.

            Et d’affirmer que cette boisson chimique, importée des Etats-Unis, provoquait le cancer et rongeait les boyaux.

            Jusqu’au jour où Olivier, par une sorte de revanche facétieuse, lui proposa de goûter « une tite gorgée, pour voir ». Ô surprise, elle trouva cela délicieux, se resservit un verre et finit la bouteille.

            Idem pour le cannabis dont je lui fis une tisane « pour l’aider à dormir ». Le résultat dépassa mes plus folles espérances. Elle qui, d’ordinaire, était insomniaque, passa une si bonne nuit que je récidivai, le lendemain. L’effet placébo ayant sans doute joué, elle ne cessa, dès lors, de chanter les louanges de « cette plante miraculeuse qu’on devrait prescrire d’office à toutes les vieilles personnes » et m’en réclama chaque soir.

            De sorte que je bénis la maladie d’Alzheimer qui, en altérant sa personnalité, lui permit de découvrir, avant de nous quitter, des voluptés insoupçonnées.

     

     

     


    4 commentaires
  •  

                             Le livre que je suis fière de ne pas avoir écrit

     

           Eviter de parler de ce qu’on ne connaît pas est, à mes yeux, la règle d’or de la littérature jeunesse. Aussi, lorsqu’un de mes éditeurs me commanda un roman sur l’anorexie, m’empressai-je de refuser.

           — Pourquoi ? s’étonna-t-il. Tu abordes souvent les grands problèmes de l’adolescence, non ?

           — Oui, dans la mesure où ils me sont familiers. Mais je n’ai jamais été anorexique, mes enfants non plus, ni personne de mon entourage. Ce que je pourrais écrire là-dessus sonnerait forcément faux, et j’aurais toutes les chances de sortir des conneries.

           — Bah, il suffit de te documenter. La presse et la télé ne parlent que de ça ; c’est le thème à la mode. Et l’édition jeunesse n’est pas en reste : tous nos concurrents l’ont abordé. Leurs bouquins se vendent comme des petits pains ; ce serait idiot de ne pas surfer sur la vague !

    S’il y a bien un truc qui m’insupporte, c’est ce genre d’opportunisme, qui exploite cyniquement une véritable souffrance.

           — Raison de plus, explosai-je. Les lecteurs intéressés par ce sujet n’ont que l’embarras du choix. Un livre supplémentaire ne leur apporterait rien, surtout écrit sans conviction.

                     Je plantai donc là l’éditeur déçu qui fit appel, pour concrétiser son projet, à l’une de mes collègues, bien plus calée que moi en la matière. Dans les mois qui suivirent sortit un roman qui, si je me souviens bien, connut un beau succès de librairie avant d’être adapté en téléfilm. L’éditeur dut se féliciter de mon refus et, tel que je le connais, s’en attribuer le mérite.

                     Perso, je suis assez fière de ne pas avoir cédé. Même si, une fois encore, j’ai raté le coche.

     


    9 commentaires