•  

                                    Tiens ta bougie drrroite !

     

             Dans « Marie-Martine », film tourné par Albert Valentin en 1943, Saturnin Fabre prononce la célèbre réplique : « Tiens ta bougie drrroite ! », (l’accent étant mis martialement sur le mot « droite » comme s’il s’agissait d’un ordre militaire). La génération de mes parents citait volontiers cette phrase, et ma mère en particulier, lorsqu’un de ses rejetons arrondissait le dos — ce qui était souvent mon cas.

             Fut-ce un effet de l’habitude ? Du mimétisme propre aux enfants ? Ou simplement l’envie de faire mon intéressante ? Un jour, au Thier-à-Liège, je lançai : « Tiens ta bougie drrroite ! » à l’un de mes grands cousins, en présence de ses frères. S’ensuivit un fou-rire viril (et général) dont je fus profondément mortifiée. Prise de pitié, ma tante m’expliqua, autant que faire se pouvait, la notion de double-sens, ce qui décupla encore ma confusion. Et j’en voulus beaucoup à ma mère dont l’innocence m’avait, par ricochet, couverte de ridicule. Ainsi appris-je à mes dépens — mais pour mon édification — que les expressions toutes faites sont souvent plus complexes qu’il n’y paraît à première vue. Ce n’est, en fin de compte, qu’une combinaison de références culturelles dont l’emploi n’est jamais totalement anodin.

             Excellent constat pour une future écrivaine !

     


    3 commentaires
  •  

                                         Fruit défendu

     

             J’ai toujours soupçonné ma mère d’un brin de sadisme. C’était l’époque qui voulait ça, je suppose. Sous couvert de l’alibi : Qui aime bien châtie bien, les bonne gens usaient, envers leur descendance, de l’abus de pouvoir si cher à l’être humain. Que de fois l’on m’a dit, lorsque je protestais contre une punition que j’estimais injuste : «  Tu devrais nous remercier, ça nous fait plus de mal qu’à toi. L’éducation n’est pas une partie de plaisir, c’est un devoir sacré ! »

             L’histoire de la pastèque illustre à ravir ce préambule. Nous passions nos vacances en Italie, mes parents et moi. A l’arrière de la voiture, il faisait une chaleur torride. Or, sur le bord de la route, des marchands ambulants vendaient des demi-pastèques sur lit de glace pilée qui me faisaient saliver. Ces courges exotiques, encore inconnues en Belgique, excitaient ma curiosité. Imaginer leur saveur, leur fraîcheur, leur chair rose fondant sur la langue, me titillait les papilles, au point que je me mis à tanner mes parents pour qu’ils m’en achètent une. A contrecœur, papa finit par s’arrêter, en grommelant que ces haltes faisaient baisser sa moyenne, et maman, réfractaire par nature à toute nouveauté, s’en fut traîner sans enthousiasme près des étals.

             —  Cent lires pour ça, ce n’est pas donné ! l’entendis-je récriminer.

             L’instant d’après, elle me tendait une tranche fraîchement coupée.

             Je me ruai dessus et l’engloutis avec voracité. Déception ! Cette pulpe aqueuse, sans goût, pas assez mûre, était loin des délices que j’avais imaginées ; dès la première bouchée, je fis la grimace et repoussai le fruit tant convoité, ce qui mit ma mère hors d’elle.

             — Tu l’as voulue, cette pastèque, tu la mangeras, décréta-t-elle.

             Elle la posa près de moi, dans un grand sac plastique, et ce fut le début de mon calvaire. Car avec la chaleur, le fruit commença à se déliter, répandant une odeur doucereuse qui, non seulement me donnait la nausée, mais attirait les mouches. Et quand je m’en plaignais :                                                                                                                                                                                            

               — Tant pis pour toi, disait maman. Si ta pastèque te gêne, tu n’as qu’à la manger. Comme ça, tu en seras débarrassée… et nous aussi.                          

             J’eus beau pleurnicher, râler, trépigner, la supplier de virer cette chose qui m’écœurait, elle ne voulut rien entendre.

             — Au prix où je l’ai payée, tu ne songes quand même pas à la jeter, vitupérait-elle. Les sous, on voit bien que ce n’est pas toi qui les gagnes !

             L’épreuve de force dura trois jours, au terme desquels mon père craqua. Garant la voiture sur le bas-côté, il ouvrit ma portière, prit la pastèque pourrissante et, sans un mot, la balança dans le fossé.

             — Tu as tort, lui reprocha ma mère. Ce n’est pas en cédant aux caprices de ta fille que tu lui rends service. Tu veux vraiment qu’elle devienne insupportable ?

             Il ne répondit pas mais baissa toutes les vitres pour évacuer l’odeur.

             Durant des mois, je gardai cette pestilence dans les narines, et pris à tout jamais les pastèques en horreur. L’anecdote, en revanche, fit le tour de la famille qu’elle divertit beaucoup.

           — S’il n’avait tenu qu’à moi, je n’aurais pas cédé, concluait ma mère, à chaque fois qu’elle la racontait. Ça nous aurait peut-être gâché les vacances, mais au moins, la petite n’aurait pas eu gain de cause. Son papa la gâte trop, je ne cesse de le répéter. C’est un très bon mari, mais comme éducateur, il ne vaut pas un clou !

            


    5 commentaires
  •  

                                       Joyeux anniversaire ! (suite)

     

            Le  lendemain, lorsque la famille, les amis, les voisins (et le gâteau) débarquèrent à la maison, Michel, armé d’une scie et d’un marteau, s’échinait à remettre le sommier en l’état. L’œuvre s’acheva sous les applaudissements, et sitôt que notre lit fut opérationnel, tout le monde entonna Happy Birthday to you.

             Le soir même, avec Michel, nous testâmes sa solidité. Ce fut mon plus joli cadeau d’anniversaire.

     


    3 commentaires
  •  

                                              Joyeux anniversaire !

     

             Certains sexagénaires méritent bien leur nom. Celui qui illumina mon bel été 2014 était un champion toutes catégories. Alors que la plupart de ses contemporains renâclent devant l’effort, il mettait tant de cœur à l’ouvrage qu’une nuit, le lit s’effondra, nous offrant le fou-rire de l’année (et quelques contusions en prime).

             — Bigre, les vigoureux animaux ! s’esclaffa l’auteur du forfait en contemplant les dégâts, le rouge au front.

             C’était la veille de mes 69 ans. Serge Gainsbourg aurait apprécié.

     


    6 commentaires
  •  

                                       Irma la douce (suite et fin)

     

             Cependant, à la longue, il fallut quand même avouer la vérité à ma famille. Mon frère Claude s’en chargea, lors d’un de ses trop brefs séjours en Belgique. Il commença par prévenir mon père, qui, avec mille précautions, mit maman au courant. Elle pleura beaucoup et, prenant le ciel à témoin, clama avec emphase :

             — J’ai enfanté une fille qui vit dans le péché. Qu’ai-je fait pour mériter une pareille épreuve ?

             Puis, au terme de cette question fondamentale, elle téléphona à tante Irma, tout en me lançant, péremptoire :

             — Cette nouvelle va la tuer, et tu auras sa mort sur la conscience !

             Or, non seulement la bonne vieille survécut, mais quand maman lui annonça :

             — Tiens-toi bien, ma pauvre : la petite a un amant.

             Elle répondit d’un ton placide :

             — Et alors ? C’est de son âge. 

             Ce qui me fit penser qu’au cours des quinze dernières années, la chère créature s’était bien dessalée. Qu’avait-elle donc vécu à l’insu de ses proches qui lui ait ainsi élargi l’esprit ? Nous ne le saurons sans doute jamais puisqu’elle s’éteignit six mois plus tard en emportant son secret dans la tombe.

     


    3 commentaires