•                                               Prophylaxie

     

    Nous avions au Liban des bidets merveilleux, munis d’un petit jet divinement bien placé qui transformait l’hygiène en une partie de plaisir. Un jour où j’en chantais les louanges à mon frère, il m’annonça tout de go :

        — Tu sais que maintenant, ils sont interdits ?

        La nouvelle me fit l’effet d’une bombe. Grands dieux ! La foutue morale de ma mère sévissait-elle jusque dans le design sanitaire du Proche-Orient ?

        — Pourquoi ? m’enquis-je, sur la défensive.

        — Ce sont des vecteurs de maladies vénériennes.

        Ah bon, c’était pour la bonne cause ? Alors, rien à redire.

     


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  •                                                          Phobies

     

        Une dernière anecdote, pour en terminer avec les névroses éditoriales. Héloïse, directrice de la collection « Aventures » chez Presse-Book, avait une étrange manie : elle ne supportait pas les mots Corridor, figure et soulier, qu’elle remplaçait systématiquement par couloir, visage et chaussure — au risque de créer un arythmie, une dissonance, ou une répétition. Comme elle me publiait quelque dix bouquins par an, je me heurtais sans cesse à ses phobies.

          — Mais, protestais-je au début, un corridor et un couloir, ce n’est pas du tout pareil. « Corridor » a une résonnance, un mystère qu’on ne trouve pas dans « couloir ». En changeant l’un par l’autre, c’est l’atmosphère du paragraphe entier que vous altérez. 

          Elle n’en avait cure.

          — Ces mots sont français, on les trouve dans le dictionnaire, plaidais-je encore, tandis qu’elle me biffait d’un trait rageur la figure et les souliers de mon héroïne.

          — Peu importe, je n’en veux pas.

          A la longue, j’en vins à éprouver un frisson transgressif en prononçant — ou en entendant — ces trois mots-là. Ils étaient devenus tabous...

          Notre collaboration dura quatre ans, puis Héloïse changea de maison d’édition, me laissant entre les mains de sa remplaçante. Par une sorte de provocation puérile, j’apportai aussitôt à cette dernière un manuscrit intitulé « Corridor, figure et souliers », ce qui ne l’offusqua pas le moins du monde et m’offrit le défoulement du siècle.


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  •                                                Pat et bulaire

                  Quand nous nous installâmes au village, deux hommes à mine patibulaire se présentèrent à la porte ; il s’agissait du maire en place et de son adjoint dont la principale activité consista, durant la bonne moitié de la visite, à débiner leurs prédécesseurs. Je vous laisse imaginer notre tête ! Nous qui étions flattés de cette visite impromptue et (et de plus, officielle), nous appréciâmes à sa juste valeur ce genre de délicatesse.


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  • Attention, un illustrateur peut en cacher un autre !

     

    1. Comme annoncé plus haut, Le Manège de l’oubli sort chez Nathan, avec de superbes illustrations de François Roca. Je nage dans le bonheur. En littérature jeunesse, les dessins ont une importance primordiale. Ils subliment le texte ou le desservent, et peuvent même, dans certains cas, le réduire à néant. Car ce sont eux qui, en premier lieu, interpellent le public, et lui donnent ou non l’envie d’acheter le livre. La découverte de l’histoire ne vient qu’après.

        L’année suivante, à la demande de l’éditrice, j’écris La poupée aux yeux vivants spécialement pour François Roca. Il excelle dans les clair-obscur, les ambiances étranges, les plans vertigineux ; l’intrigue en regorge. Bref, je lui mitonne un récit sur mesure, dont je visualise d’avance le résultat.

        Manque de bol, l’éditrice, en établissant son planning, ne s’est pas assurée qu’il était libre. Or, il a une série d’albums en chantier ; six mois de boulot, au bas mot... Qu’à cela ne tienne ! Le livre paraîtra à la date prévue. Sans que j’en soie informée, l’illustration est confiée à une débutante dont c’est le premier travail, et qui ne maîtrise ni le dessin, ni la couleur, ni la perspective. Résultat : un flop monstrueux.

        En découvrant le carnage, j’en ai chialé.


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  •                                    Conscience professionnelle

     

        Une éditrice, moins jeune que la précédente mais tout aussi vindicative, m’impose d’insupportables remaniements de texte.

          — Mais pourquoi faites-vous ça ? m’énervé-je. Pour vous approprier les livres que vous publiez ?

          Elle me toise avec hauteur.

          — Tttt, pour les améliorer, tout simplement. C’est dans votre intérêt que je vous corrige. Vous devriez me remercier !

             — Et si je préfère ma version à la vôtre ?

          — On n’est pas objectif vis-à-vis de son propre travail. Croyez-moi, si j’avais été l’éditrice de Flaubert, il ne s’en serait pas tiré à si bon compte. Jamais je n’aurais laissé Madame Bovary sortir dans cet état. Et je suis sûre que, contrairement à vous, il m’en aurait été reconnaissant.

          Brave Gustave, va !


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