• Saaalut les tchaupains !

    Les moments de Solitude étant terminés, je vous propose en remplacement un petit tour d'horizon de l'Histoire de France. Chaque jour, je vous présenterai un personnage célèbre vu par le petit bout de la lorgnette. On commence ? Allez, on commence !

    JEANNE D’ARC (1412-1431)

     

    La petite Jeanne, bergère vosgienne, avait toujours froid. Elle grelottait en gardant ses troupeaux. L’archange St Michel lui apparut en songe et lui dit :

             « Pour te réchauffer, il faut faire du sport 

             — Quel sport ? demanda la pauvrette.

             — Bouter l’Anglois hors de France, par exemple. »

    Jeanne s’empressa d’obéir, et bouta. Mais elle continuait à grelotter dans son armure. Par chance, un évêque du nom de Cauchon (non, il n’y a pas de faute d’orthographe, je vous assure) décida de la brûler vive. Ce qui la réchauffa une bonne fois pour toutes.

     

     

     

     

     

     

     


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  • .                                                            Merci, Bernard !

     

           Aux appels de cet étourneau, grand  branle-bas dans Landerneau  (G. Brassens)

     

                En 1979, à Angoulême, je croise Yvan Delporte, figure éminemment charismatique de la BD. Non content d’être le scénariste — entre autres — des Shtroumpfs, il fut, durant de longues années, rédacteur en chef de Spirou. De sorte que l’on put voir déambuler, courant 1960-70, sa célèbre silhouette voûtée et fortement barbue à l’arrière-plan des cases de Roba, Jidéhem, Morris, Will  et consorts. 

             — Je dirige, chez À Suivre, quatre pages de supplément incluses dans la revue, m’explique-t-il. Un « journal dans le journal » dénommé Landerneau, indépendant de la rédaction-mère, et auquel participent des tas de gens sympas : Franquin, Binet, Fred, Cabu, Janin, etc. Mais nous manquons de rédacteurs et surtout d’une rédactrice. Veux-tu te joindre à nous ? 

             Et comment ! 

             — Euh... c’est quoi, les limites ? m’enquis-je néanmoins. 

             — Pas de limite. Si je m’adresse à toi, c’est que je connais ton travail. Lâche-toi, ma grande, faut que ça rigole ! 

             Je me lâche donc, ce qui donne un feuilleton d’une vingtaine d’épisodes, bourré de jeux de mots d’un goût douteux et délicatement intitulé « Les aventures de Zoé Borborygme, trayeuse dans une banque de sperme ». Yvan applaudit : voilà qui va secouer son lectorat ! 

             — Non seulement on a une femme dans l’équipe, mais en plus, elle est drôle et elle bosse, clame-t-il à qui veut l’entendre. 

             Son enthousiasme sera de courte durée. Dès le deuxième épisode, la sentence tombe : monsieur Casterman ne veut pas d’immondices dans son beau journal. Zoé doit disparaître. 

    Yvan est convoqué, tancé d’importance ; il riposte vertement, le débat s’envenime, le mot « censure » est prononcé... Et, plutôt que d’éliminer purement et simplement ma chronique, comme l’exige la direction, le barbu rebelle remplace le texte par un  pavé noir, accompagné d’un magnifique dessin de Franquin me représentant, en larmes, tandis que lui-même, dans une vaste bulle, me réconforte en répétant à sa façon les mots salaces qui ont motivé mon bannissement. 

             Ce vent de révolte sonnera la fin de Landerneau. Désormais, À suivre  se passera de son supplément, devenu par trop subversif. 

    Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Franquin, avec sa gentillesse coutumière, m’offre le dessin original. Un trésor ! Trésor que je « prêterai » sottement à Charlie hebdo pour illustrer l’article dénonçant cette affaire. Et que, en dépit de mes demandes réitérées, je ne récupérerai jamais. Un petit malin, à la rédaction ou à l’imprimerie, aura mis la main dessus, et sans doute fait-il aujourd’hui la fierté d’une collection privée... 

             Quarante ans plus tard, j’ai toujours les boules.

             La quatrième de couverture du présent recueil est la reproduction de ce dessin, paru dans la presse et archivé par Bernard Joubert, écrivain et journaliste spécialisé dans la censure.  

             Merci Bernard ! 

     

    Franquin

     


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  •                                                                Contrepoison

     

           À chaque fois qu’Adèle éprouvait un désir d’enfant, elle faisait appel à mes services. C’est-à-dire qu’elle m’empruntait les miens, d’enfants, histoire d’expérimenter « sur le tas » les grandeurs et les servitudes de la maternité. Cela m’arrangeait, pensez ! D’autant qu’entre elle et eux, le courant passait bien : elle préparait les meilleures crêpes au Nutella du monde et savait se libérer au moment opportun (genre salon d’Angoulême, par exemple).

             Or, justement, cette année-là, pour Angoulême, elle avait assuré comme une bête : programme télé d’enfer, DVD et BD retenus  d’avance à la médiathèque. Frigo plein à craquer ; bref, de quoi concocter d’inoubliables souvenirs à ma progéniture.  Les gamins étaient fous de joie. Pourquoi a-t-il fallu que je tombe malade la veille du départ ?

             Bon, pas le choix, je reste près de mes mômes ; Alex part en célibataire et Adèle rentre chez elle avec son p’tit mari sans avoir fait son stage de mère intérimaire. Résultat : deux mois plus tard, elle m’apprend la bonne nouvelle : une grossesse-surprise mise en chantier ce soir-là précisément. (à défaut de films d’horreur, fallait bien qu’elle s’occupe, pauvre louloute  !)

     

             Théo, si jamais tu lis cette Solitude, sache que tu dois la vie à un virus de gastro vieux d’une trentaine d’années. Tout le monde ne peut pas en dire autant !

     


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  •                                                            L’affiche rouge

     

             Cette magnifique chanson recélait un mystère qui, durant des années, m’intrigua. Il résidait dans ces trois vers :

             Marie-toi, sois heureuse et pense à moi souvent,

             Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses

             Quand  tout sera fini plus tard, en Érivan.

           Moi, je comprenais : « Quand tout sera fini, plus tard, en érivant ». Or, j’avais beau fouiller le dictionnaire et l’Encyclopédie Universelle, pas la moindre trace du verbe « ériver ».  « Dériver », oui (ou à la rigueur « écrire »), mais pas « ériver ». Que pouvait bien signifier cet étrange participe présent ?

             À force d’interroger mon entourage, je finis cependant par obtenir une réponse.

             — Érivan, c’est la capitale de l’Arménie, m’expliqua un ami libanais ; ce n’est en aucun cas un verbe.

             J’en restai sur le cul. Certaines confusions orales sont, pour un auteur, de véritables pièges qui, non seulement altèrent son propos mais peuvent aussi le rendre incompréhensible.

             Ainsi, l’infîme maladresse de Louis Aragon, adaptant en vers l’admirable lettre de Michel Manouchian à sa fiancée Mélinée, m’initia-t-elle aux subtilités de l’écriture, plus sûrement qu’un cours de linguistique !

     


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  •                                       Les derniers jours de tante Sarah

             Tante Sarah n’était pas ma vraie tante, mais celle de ma mère et de sa sœur Irma. Veuve d’un pianiste virtuose, grande voyageuse devant l’Éternel, amie des beaux-arts, pétrie de culture et d’intelligence, elle était athée tendance communiste*, ce qui, bien entendu, désolait sa famille. D’autant que, contrairement à la caste petite-bourgeoise dans laquelle barbotait par erreur sa belle âme, elle ne pratiquait ni la malveillance, ni le jugement hâtif, ni la condescendance étriquée, ni la moralité rébarbative qui sévissaient alors en nos douces provinces.

           Elle allait sur ses quatre-vingts ans lorsque tante Irma, l’estimant incapable de subvenir seule à ses besoins, l‘installa chez elle (avec le secret espoir de la convertir, je pense). Dès lors, elle reçut la visite quotidienne du curé pour de longues causeries qui, tout en l’irritant, entretenaient sainement sa colère.   

          Bref, les derniers moments de cette femme remarquable s’effilochèrent entre les serres de deux oiseaux de proie : une nièce très tendre et un vieil homme d’église dévoué comme pas deux.

          C’est à cette époque qu’eut lieu le fameux accident de la Grande Marbrure. Je vous explique : la Grande Marbrure était la principale mine de charbon de la région. Bien qu’employant un bon millier de travailleurs, elle ne répondait pas aux normes de sécurité minimales, de sorte qu’en dépit de l’action des syndicats, les tragédies s’y succédaient. Si la direction n’y mettait bon ordre, les éboulements, inondations, incendies et fuites asphyxiantes qui avaient déjà tué, tueraient encore : d’où les grèves, manifestations et meetings qui, depuis plus d’un mois, galvanisaient les mineurs et leurs proches. Chaque matin, au réveil, tante Sarah m’envoyait acheter le journal local où elle suivait la progression des événements.

          — Ah, que je regrette d’être immobilisée, répétait-elle sans cesse. Ma place est aux côtés de ceux qui luttent. Je saurais trouver les mots qui convainquent, moi ! Et je suis là, dans ce lit, inutile, tandis que l’Histoire s’écrit avec le sang et la sueur de ces braves gens !

          Elle achevait sa lecture quand le curé se pointa, et, pour une fois, elle ne le vira pas à coup de : « Hors de ma vue, marchand de sermons ! » mais lui cria : 

         — Rends-toi utile, Jacquot : au lieu de marmonner tes litanies, apporte-moi plutôt une feuille et un stylo ! (Ils se connaissaient depuis l’enfance, d’où cette familiarité de vieux compagnons de route).   

          Ayant couvert le feuillet de sa majestueuse écriture, Tante Sarah me le tendit.

          —Va vite lire ça de ma part à l’assemblée.

          Je fis un pas en arrière :

          — Oh, non, j’oserais jamais !

         Pris de pitié, le curé intervint :

         — Ne t’inquiète pas, petite, je m’en charge.

        Puis, ayant parcouru l’épître de bout en bout :

        — C’est magnifique, dit-il à Tante Sarah M’autorises-tu à lire cette lettre aux mineurs ? Ce serait un honneur pour moi....

           Contre toute attente, elle le gratifia d’un léger hochement de tête. Cependant, comme nous sortions de la chambre pour nous rendre au meeting, elle me glissa à l’oreille : — Tu me raconteras comment ça s’est passé ? Je compte sur toi ; je n’ai pas confiance en ce corbeau : il est capable de me jouer un tour pendable.

          Elle se trompait : le curé monta sur le podium, parlementa quelques instants avec les représentants du syndicat, puis annonça :

          — Mme Sarah H, dont vous connaissez tous les idées progressistes, souhaite vous assurer de sa solidarité et plaider votre cause auprès de la direction. Elle m’a chargé de vous transmettre ce message.   

          Suivit un texte dont le profond humanisme et l’appel vibrant à la rébellion me firent monter les larmes. Et pas seulement les miennes ; celles de la foule aussi. Des applaudissements frénétiques éclatèrent.

          Je me hâtais de rentrer pour annoncer la chose à Tante Sarah quand j’aperçus Irma courant à ma rencontre en faisant de grands gestes :

          — Elle nous a quittés, criait-elle. Où est monsieur le curé ? Il doit lui donner les derniers sacrements.   

             Ce fut le sourire de Tante Sarah qui nous accueillit, dans la chambre mortuaire. Un sourire apaisé, lumineux. Celui d’une femme ayant accompli, avec l’aide de son vieil ennemi, l’ultime tâche qu’elle s’était assignée avant de mourir.

    * Ainsi qualifiait-on, en ces temps reculés, toute personne ayant une conscience de classe et un minimum de sens social


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