•                                                         Après vous, M. de La Fontaine !

             Ils en rêvaient tous, de ces vacances à la neige : Alex, Sylvain, Barbara, Nina, Mélanie — ; tous, sauf moi qui ai horreur du froid et ne suis jamais montée sur des skis de ma vie. De plus, les chiens n’étaient pas acceptés dans les chalets de location, et laisser Freddy à Paris me brisait le cœur.

             Il m’aurait tenu compagnie, pourtant ! Car, comment m’occuper pendant que ma p’tite famille s’échinait sur les pistes, sinon en le promenant le long des pentes enneigées ?

             En bouquinant aux terrasses des cafés, peut-être ? Ou alors, en écrivant ?

             Oui, mais quoi ?

             Tandis que j‘y réfléchissais, me vint une idée, ma foi,  fort sympathique : si je « continuais » les fables de La Fontaine sous forme de pastiches ?  J’en connaissais une bonne quinzaine par cœur, prêtes à servir de terreau à l’exercice. Or, cet exercice m’intéressait d’autant plus qu’il consistait à modifier les multiples morales du petit théâtre animalier qui avait enchanté mon enfance ; morales  que j’estimais pessimistes, désespérantes, et contraires à ma propre éthique.

             Ainsi prônai-je le partage dans « Le corbeau et le renard », la justice dans « Les animaux malades de la peste » ,la solidarité dans «  La cigale et la fourmi », l’union contre la tyrannie dans  «  Le chat, la belette et le petit lapin », la fatalité dans « Perrette et le pot au lait », pour les rendre plus conformes à nos idées modernes. 

             Ce que j’ignorais, c’est que nous étions à quelques semaines du tricentenaire de la mort de La Fontaine, et qu’Hachette cherchait un manuscrit pour fêter l’événement. A peine sorti, le petit opuscule trouva sa place dans les écoles , où les élèves le remanièrent à leur guise– ce qui les incita, selon le vœu du fabuliste, à réfléchir sur la nature humaine,  voire à tenter de l’améliorer.  

            

            

            


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  •                                            Journal intime d’une pensionnaire

         

             Mettre sur pied une édition de romans de gare à tendance érotique était, depuis toujours, le souhait du patron du Pubnou. Mon « Sexe des anges » inaugura la chose  sous le titre falsifié de «  Soumise à mon élève », suivi de près par «  Journal intime d’une pensionnaire »,dont la fraîcheur et le parler puéril plurent d’office à mon commanditaire , mais qui ne survécut pas à l’arrêt de la collection.

             Sur le conseil d’amis écrivains, je le proposai donc à un autre éditeur, La Mutine, spécialisé dans les textes lestes, de préférence féminins

             Après lecture, le directeur  de La Mutine m’annonça :

             — Votre roman nous intéresse mais nous ne pouvons le publier en l’état. Le style n’est pas assez mûr. Il sera réécrit par un professionnel.

             Je fis un bond en l’air :

             — Hein ?? Qui  ?

             — Luc Gaspard ; Vous devez le connaître : c’est le champion des rewriters.

             — Luc ? La bonne blague ! Un de mes plus anciens pigistes ! Ça fait dix ans que je corrige ses fautes d’orthographe et de syntaxe.

             J’en profitai pour signaler à M. Mutine que le style qu’il contestait n’était ni le fruit du hasard, ni un manque de savoir-faire, mais une volonté délibérée de « coller » au personnage, et ce pour le plus grand confort des lecteurs.

             Ayant refusé l’humiliant lifting, je tournai dignement les talons, comme l’avait fait avant moi Jean Rollin,  outré par un accueil semblable.

              «  Enfer privé », arraché de justesse aux griffes du prédateur, devint, par la suite un film remarquable, et fut réédité aux Belles Lettres— ce qui, en terme éditorial,  vous a quand même une autre gueule que La Mutine, pas vrai ? 

             Quelques mois plus tard, une mésaventure de cet ordre affectait mon amie Luna dont les romans french love, traduits dans le monde entier, rencontrent un gros succès outre-Atlantique.

             Bien joué, M. Mutine ! Voilà ce qu’on appelle de la sagacité !

            

     


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  •                                                                    Les beaux quartiers

            En vieille Parisienne, coutumière des transports en commun, j’étais aussi à l’aise dans le métro nocturne que dans ma salle de bains.

             En fait, je n’ai pas le souvenir d’avoir jamais flippé en parcourant la capitale,  sauf une fois, une seule. Dans le XVIème arrondissement. C’était un dimanche après-midi, et je sortais de la Maison de la Radio après une vague émission littéraire. Rues désertes, pas un bistrot d’ouvert à l’horizon, rideaux de fer baissés sur les vitrines des magasins ; une ambiance post-apo à vous donner le frisson.

             Soudain, qu’entends-je derrière moi ? Des rires gras, des bruits de pas précipités, des cris, des bousculades…  Je me retourne ; le remue-ménage émane de trois gros crânes rasés dont le treillis militaire et les rangers kaki me font monter l’adrénaline.(Ah, que je regrette, à cet instant précis mes petites frappes de Barbès, si inoffensives face à ces mastards !) Fringues ethniques et dread-locks ne véhiculent à mes yeux aucune violence, tandis que ce look agressif d’extrême droite… au secours !

             «  Et s’ils ont écouté l’émission ? », me dis-je tout en marchant. Si mes propos leur ont déplu et qu’ils décident de se venger ? Qui les en empêchera ? »

             À force de me faire des films, je finis vraiment par avoir la trouille, si bien  que, déboulant à toutes jambes sur l’avenue des Champs-Élysées, j’arrête le premier taxi qui passe à ma portée et saute dedans. Une chance que le chauffeur ne soit pas un couard, car, à la vue de mon escorte, j’en connais  qui auraient pris la poudre d’escampette !

     


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  • .                                                                     Valentin Letendre

     

             Certains éditeurs ne mesurent pas le privilège d’avoir tel ou tel auteur à succès dans leur « écurie ».   Cette année-là, Plon jeunesse cartonnait grâce aux Peggy Sue de S.B. À tel point que la direction le sollicita afin qu’il créât, secondé par des collaborateurs de son choix, une nouvelle série dans la même veine. S’ensuivit un coup de fil qui m’enchanta littéralement.

             —Veux-tu te joindre à nous ? me proposait S. B. Voici comment j’envisage les choses : une équipe réduite mais dynamique et bourrée d’imagination. Pour chaque écrivain, un tome de 250.OOO signes par mois, avec un (ou des) héro(s) récurrent(s) dans le(s)quel(s) les ados puissent se reconnaître.

             — Houlà ! protestai-je : ce n’est pas mon format, ça ! Moi, je tourne  plutôt autour des 100 à 150.000 signes. Je n’aime les gros pavés ni en tant que lectrice, ni en tant qu’auteure.

             — Rien ne t’empêche d’écrire plusieurs  petites nouvelles qui, mises bout à bout, donnent un roman-fleuve, reprend S.B. C’est une formule qui, en ce qui me concerne, a fait ses preuves.

              L’idée est loin de me déplaire, si bien que je promets un synopsis pour les semaines à venir — synopsis dont S. B. compte prendre connaissance à son retour de vacances. L’à-valoir me convient, les termes du contrat également, bref il n’y a aucune raison qu’à ce stade avancé,  l’affaire capote.

             C’est ce qui se passe, cependant. Profitant de l’absence de l’initiateur du projet, la direction embauche une éditrice qui, bien qu’ultra-novice en littérature jeunesse, reprend la série  à son compte. Les contrats sont signés dans la foulée;  le nom de la nouvelle directrice de collection y remplace celui de S. B.(dont nous ignorions qu’il avait été évincé) et le chiffre des-à-valoir  est divisé par deux. Bref, hormis le fait que S.B. furieux, part en claquant la porte (et à raison), tout roule. Deux mois plus tard sortent les premiers exemplaires. Mon héros, destiné en priorité aux garçons, se nomme Valentin Letendre, et le tome 1 est rebaptisé « Valentin Letendre, Amour magie et sorcellerie », tandis que le deuxième devient, pour cause de marketing :  «  Valentin Letendre, Frisson, Amour et Maléfice » (On peut trouver actuellement ces ouvrages en éditions numériques chez Multivers : http://www.multivers-editions.com/…/nos-couvertures-font-p…/)

             Comme S. B. semble tenir tout particulièrement au suivi de la série, je me creuse le ciboulot pour lui pondre un second  tome  dans la parfaite continuité du précédent.

             Lorsque je lui annonce la bonne nouvelle  par téléphone. Sa réponse me laisse pantoise :

             — Je ne fais plus partie de la maison, adresse-toi à ma remplaçante.

             Or, non seulement cette personne s’est lamentablement plantée dans le choix des couvertures (que l’on croirait dessinées par quelque préado  en proie aux affres d’une puberté précoce) mais quand je mentionne l’ouvrage que, selon nos accords verbaux,  je viens laborieusement de terminer, elle s’écrie :

             —Ah non, non, non ! je n’en veux pas, c’est bien trop tôt !  Faut d’abord liquider le tirage précédent.

             J’ai beau lui rappeler que ses concurrents sont très demandeurs, rien n’y fait. (Le suivi drastique des séries, c’est le point sensible de ce genre littéraire alors en plein essor). À L’évidence, la dame est dépassée par les us et coutumes d’un métier qu’elle n’a jamais approché de près. «  Valentin Letendre, Frisson, Amour et Maléfice » sortira donc l’année suivante, avant d’être repris, à ma demande expresse, par le club « Succès du livre » sous une admirable couverture d’Erwann Surcouf.

             L’année suivante, aux Imaginales d’Épinal, j’apprends que les éditions Bragelonne (où sont déjà parus quatre de mes titres pour adultes) crée une collection jeunesse Sfff, à laquelle je suis censée participer. Comme le cahier des charges correspond à peu près à celui des «  Valentin », j’y vois l’occasion d’extirper mon héros de l’oubli et m’informe candidement :

             — Vous recherchez une sorte de Valentin Letendre, c’est ça ?

             La réponse positive de mon interlocutrice donne le feu vert au «  Faiseur d’anges », un gros bouquin de fantasy ( 350.000 signes) qui me sera refusé aussi sec car pas assez « beat lit » pour Bragelonne. « Le spectre sans yeux », son successeur, connaîtra le même sort jusqu’à ce que les éditions « Armada » s’y intéressent et programment sa sortie pour janvier 2015. 

     


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  •                                                      Où vas-tu, petit soldat ? À l’abattoir

             En 1989, Sylvain caresse un projet ma foi fort sympathique : éditer un album collectif sur la guerre des tranchées. Les bénéfices de cette opération, par ailleurs entièrement bénévole, serviront à financer des actions antimilitaristes : tracts, affiches, conférences, exposition de documents d’époque, etc.

             Nous plongeons tous deux dans nos carnets d’adresses et appelons les copains bédéistes pour solliciter leur collaboration.

             Le livre, une fois imprimé, s’avère magnifique. Une admirable couverture de Tardi, et des planches intérieures des meilleurs graphistes du moment (Gotlib, Edika, Gébé, Pichon, Pichard, Al Coutelis, Thiriet,Teulé, Goossens, Cabu, Taffin, Mix &Remix, Savard, Caro, Nicollet, Kellec Menu, Sylvie Picard, Pellos…), illustrent un rédactionnel concocté sur mesure par deux historiens libertaires. Cerise sur le gâteau :  au terme de l’opération, Édika m’offre sa planche originale que je m’empresse d’accrocher au mur de mon salon. C’est là que Jean-François, l’un des plus proches amis de Sylvain, la découvre avec un tel émerveillement que, spontanément, je lui en fait cadeau — ce qui me vaut une engueulade de mon compagnon qui s’estime abusivement dépossédé.

             — M’enfin, protestai-je, cet original m’appartient, je le donne à qui je veux, t’as rien à voir là-dedans ! En plus, je croyais te faire plaisir en « gâtant »  ton pote ; je n’imaginais pas que tu le prendrais mal. Moi, quand on fait un cadeau à quelqu’un que j’aime, je suis aussi contente que si on me le faisait à moi !

             — C’est à nous deux qu’Édi a offert cette planche, tu n’avais pas à en disposer sans me demander mon avis, rétorque Sylvain tout à trac. Franchement, Gudule, quel manque de délicatesse !

             Cause toujours, bel oiseau !

            


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