•                                                                Serial menteuse 

     

                                      Si je n’étais pas menteuse, je n’aurais jamais écrit

                                                                                                          Colette

     

             Du plus loin que je me souvienne, le mensonge a toujours fait partie de ma vie. Et je ne parle pas que du mensonge utile, celui qui vous évite une punition ou une embrouille. Ce mensonge-là est sans saveur : c’est de la légitime défense.

             Tuer par nécessité n’a jamais fait jouir un serial killer. Ce qui l’excite, c’est le crime gratuit, sans autre raison d’être que la beauté du geste. De même, mes mensonges n’avaient pour unique objectif que le plaisir (« le vice » eût rectifié ma mère). C’était mon hobby ; un divertissement pur, comme l’art, la musique ou le sport.

             — Tu nous racontes des fariboles, me reprochait mon entourage lorsque je narrais, avec force détails, un événement imaginaire en le présentant comme authentique.

             C’était vrai.

             — Tu mens comme tu respires, me disait-on encore.

             C’était vrai également.

             ­ — Comment veux-tu qu’on te croie si tu racontes n’importe quoi ?

             Bah, qu’on me croie ou non, ça m’était bien égal : le but de la manœuvre n’était pas de  convaincre mais d’inventer ; d’offrir à mes fantasmes ce précieux exutoire : l’oreille d’une tierce personne. Ou mieux encore : son effarement.

              Etais-je mythomane ? Point du tout, je vous l’assure. La mythomanie est une névrose. Ceux qui en sont affectés mentent contre leur gré. Moi, je mentais sciemment, comme on mange un bonbon ou du chocolat blanc. Je savourais chaque bouchée en connaisseuse, et plus le mensonge était gros, plus il désarçonnait mon interlocuteur, plus je prenais mon pied. Ainsi ai-je affirmé, à une copine de sixième, avoir un petit ami américain nommé Johnny qui m’envoyait des lettres d’amour torrides — lettres que j‘écrivais moi-même, bien entendu, jusqu’à ce que la copine s’étonne :

             ­ —Dis donc, pour un Américain, il est drôlement fortiche en français, ton Johnny ! Pas une seule faute d’orthographe en cinq pages !

             Oups ! Trahie par mon point fort ! Dès lors, je m’efforçai de truffer mes lettres d’erreurs, ce qui, de prime abord m’amusa beaucoup (après tout, estropier la syntaxe était un mensonge comme un autre — et plus habile encore, puisqu’il ne s’adressait qu’aux « initiés », le commun des mortels étant hermétique aux évidences grammaticales).

             Hélas, je fus surprise en pleine forfaiture par la prof de français ( car j’écrivais pendant les cours).

             — Apportez-moi cette feuille, exigea-t-elle.

             Vu la teneur de la feuille en question, j’obéis à reculons.

             Mais, l’ayant parcourue d’un œil distrait, l’enseignante ne releva ni les déclarations enflammées, ni  les petits noms tendres, ni les situations scabreuses que j’y mentionnais. Elle se contenta de pointer chaque faute au Bic rouge et, en représailles, m’obligea à copier une cinquantaine de fois la règle de l’accord des participes passés.

     


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  •                                                         Trop mignon

     

             Quand je suis rentrée aux arts-déco, à dix-sept ans et des poussières,  je dessinais des profils féminins dans les marges de mes cahiers. Et comme si ça ne suffisait pas, j’y adjoignais quelques poulbots encasquettés jusqu’aux oreilles, et des bébé animaux aux grands yeux tristes (qu’on appelle aujourd’hui des « kawaïs », si je ne m’abuse ; un mot aussi niais que la chose qu’il désigne). Par bonheur, les mangas n’existant pas encore, le Japon n’exportait que des estampes, ce qui limitait les dégâts.

             Je tombai sur une prof réellement formidable, dont le premier soin fut de déchirer mes consternantes ébauches — ainsi que celles de mes condisciples, tout aussi peu douées que moi.

             — Je vous préviens, nous dit-elle, je ne supporte pas ce qui est « mignon ». Que vos dessins soient laids, affreux, criards, brouillons, déjantés, je m’en tape, l’important c’est qu’ils aient de la personnalité. Lâchez-vous, exprimez-vous, éclatez-vous, vomissez sur vos toiles si nécessaire, mais ne cédez jamais à l’attrait du gnangnan !

             Sous sa houlette, je fis des pas de géant. Finie, la facilité, terminés, la complaisance, les petits crobars chiadés, les chouminous, les choupinets et les visages d’enfants  aux sourires à fossettes. Mme Deligne (c’était son nom) veillait. Je crois avoir donné le meilleur de moi-même durant les quelques mois — neuf, très exactement — pendant lesquels elle m’extirpa des tripes les formes, les couleurs et les faces grimaçantes qui y étaient tapies. Puis elle disparut de la circulation ; congé maternité.

             Je ne la revis qu’une seule fois, quand elle vint nous présenter son petit garçon.

              — Oh ! Comme il est mignon ! s’écria la classe d’une seule voix.

             Mme Deligne eut une drôle d’expression. Je ne suis pas certaine qu’elle ait apprécié le compliment.

     


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  •                                                       Prince des caresses (ter)

     

           Ne dites jamais de mal des princes en ma présence, je suis leur plus fervente adepte. Quelqu’un m’a prétendu un jour : « Ces histoires d’épreuves à la con, de sort qui s’acharne, de malédictions, de duels sans merci, c’est du pipeau. Un truc pour impressionner les gonzesses. Les princes ne sont rien d’autre que des mecs comme toi et moi. Leur prétendu courage, c’est une légende ».  Faux. Archifaux. Et je le prouve. Durant l’année et demie qui vient de s’écouler, des épreuves, Michel a dû en surmonter des tas. Il a enterré son meilleur ami, tremblé pour un membre de sa famille, souffert avec un autre, vu la femme qu’il aimait s’étioler lentement, et mené contre la mort qui rôdait autour d’elle un combat de chaque instant. Sans jamais, je précise, se plaindre ni faire la gueule. Sans rien revendiquer pour lui-même, en échange. Et sans que s’éteigne jamais son lumineux sourire.

             Si ce n’est pas du courage, ça ! Alors, mes bons amis,  mon cul, c’est du poulet !


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  •                                                 Prince des caresses (bis)

     

    Rien ne ressemble plus au bonheur qu’un couple joyeux et libre   

             Je me disais : « Il va fuir. Aucun homme normal ne s’encombre d’une malade juste parce qu’il a couché une fois avec. Faut pas rêver, ma grande ! Ce genre de truc n’arrive que dans les contes de fées. »    

             Il n’a pas fui. Quand je lui ai demandé de partir, il est resté ; il s’est même installé dans ma chambre d’hôpital.

             Je me disais : « Tu vas te dégrader, perdre tes cheveux, enfler, devenir dépendante. Comment assumerait-il, à moins d’être un surhomme ? » Il a assumé, à coups de « je t’aime » et de mots d’amour. Il m’a pris mon fardeau, l’a porté à ma place, m’a fait rire, vibrer, m’a préparé de bons petits plats, joué des airs de guitare, montré de jolis films, fait miroiter des clairs de lune et rassurée jour après jour.

             Je me disais : « S’il s’en va, il ne te reste qu’à mourir ».

             Je suis toujours vivante.

             Et il est toujours là.

     


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  •                                                         Prince des caresses

     

           Je me disais : «  Revivre une histoire d’amour à ton âge, faut pas rêver, ma grande ! Tu n’es ni jeune, ni belle, la vie t’est passée dessus au rouleau compresseur ; y a pas un mec normal qui va avoir envie de prendre une balayette pour ramasser tout ça ! »

             Je me disais : « Un mec normal, certes, mais un prince charmant, hein ? Ça se rencontre, à soixante ans, un prince charmant ? C’est encore supportable ? C’est encore consommable ? Ça dit encore des mots d’amour ? C’est encore capable de quitter son fauteuil pour vous emmener sur son cheval blanc ? »

             Je me disais : « Déjà qu’à l’andropause, tant d’hommes sont aigris et tyrannisent leurs femmes pour se prouver qu’ils existent — ou alors, ils picolent, jouent aux cartes, s’excitent devant les matchs de foot à la télé… Tu te vois vieillir avec un tyran domestique, un ivrogne, un maniaque du poker, un supporter du PSG ? Franchement ? »

             Je me disais : « Mieux vaut terminer seule que mal accompagnée ». Je me disais : « Y a que les gigolos qui s’intéressent aux vieilles ; ou alors, les pervers ». Et, tout en gribouillant des portraits robots de l’homme idéal, je me répétais : « Quand donc cesseras-tu de croire au Père Noël, ma pauvre fille  ? Sur ton lit de mort ? »

             Et puis un jour, Michel est entré dans ma vie. Il était tendre, drôle, amoureux. Il n’avait pas de ventre, pas de barbe blanche, mais un sourire craquant sur des petites dents de castor, et une grosse moto. Il préférait les peluches aux cartes, les fraises tagada au pinard, le yoga au foot ; il bouquinait de la SF des années trente et discutait avec les chiens et les insectes (quand il ne murmurait pas à l’oreille des chevaux).

             J’ai déchiré tous  mes portraits robots car aucun d’eux ne lui correspondait, et je me suis fourrée entre ses bras en pensant : « Yessss ! ».

             La nuit qui suivit fut éblouissante ; l’une de ces nuits qui vous marque à jamais, et à laquelle on repense encore vingt ans après, la langue pendante et le bas-ventre houleux. Si toutes mes nuits futures étaient de cet acabit, je pouvais me remettre à croire en l’avenir.

             Ce que je fis, avec passion.

             C’est au réveil de cet enchantement que sont apparus les premiers signes de mon cancer.

     

    Cette histoire est racontée en long, en large et en travers dans mon roman « Le Bel été » (éditions du Nombril) 

     


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