•                                                                   L’Instit (bis)

     

        Lorsqu’en 1996, la ville d’Orange tomba aux griffes du FN, ce dernier n’eut rien de plus pressé que d’expurger la bibliothèque municipale des livres indésirables  — c’est à dire affichant d’autres idées que les siennes ; le multiculturalisme, entre autres. Ainsi vit-on disparaître des rayonnages de cette ex-honorable institution d’excellents ouvrages tels que Solinké du grand fleuve, d’Anne Jonaz, Le griot, poète et musicien, de Christine Adam ou encore Amies sans frontières d’Hélène Montardre, et La construction européenne d’Alain Herbetht.

        Toute la série L’Instit subit le même sort, et à raison, puisque son but avéré était la lutte contre les thèses nauséabondes de l’extrême-droite.

        Du coup, moi qui considérais ces novélisations comme une activité mineure sans intérêt, je les revendiquai haut et fort. Etre dans la ligne de mire de l’affront national, c’était déjà, en soi, un honneur et une gloire !

     


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  •                                                                     L’instit

              Durant plusieurs années, j’ai novélisé la série  L’Instit pour le compte des éditions Hachette. Ce travail m’assurait un double avantage : un revenu régulier et sûr, d’une part, et la reconnaissance de mon travail par mes parents, de l’autre. Reconnaissance imméritée, je précise, puisqu’en dépit de mes dénégations, ils s’obstinaient à croire que j’étais l’auteure à part entière des scénarios. La chose leur plaisait d’autant plus que ces téléfilms prônaient des valeurs chrétiennes : charité, fraternité, solidarité, bonté envers les humbles, respect du prochain, etc.  Bien que ces valeurs soient également les miennes (à quelques nuances près), elles s’agrémentaient, dans mes bouquins perso, d’un zeste de rébellion contre l’autorité, d’une lichette d’anticléricalisme et de quelques pincées d’érotisme torride qui, à leurs yeux, les rendaient illisibles, sinon nocifs.

                 Tandis que L’Instit, ah la là, L’Instit !

                 Dans la maison de retraite où ils finirent leurs jours, ce sympathique personnage leur conféra une notoriété inespérée. Ils prêtaient les livres à leurs copains — dont ils buvaient les compliments comme du petit lait— , et, à chaque diffusion d’un nouvel épisode,  les invitaient à venir voir « le film de la petite » dans leur chambre. Un genre de ciné-club à la gloire de fifille, en quelque sorte

                 Cependant, dans la réalité réelle, tout n’était pas si rose. Les scénaristes et moi (un différent par épisode), n’étions pas toujours d’accord. Pour Aimer par cœur, par exemple…

                 Cet épisode traitait du sida et de l’exclusion dont souffraient les séropos, en milieu scolaire ou professionnel. Or, j’avais déjà abordé ce thème dans La vie à reculons qui m’avait valu de nombreux prix, en France ainsi qu’à l’étranger.

                — Je ne peux pas adapter ce scénario, expliquai-je à mon éditrice, car nous avons trop de divergences, l’auteur et moi). En le signant, je trahirais  mon propre livre, et ça me décrédibiliserait aux yeux de mes lecteurs.

                — Et si je vous laisse toute latitude de le modifier , suggéra l’éditrice, craignant pour son planning.

                — Dans ce cas, c’est différent : je ferai en sorte que les deux approches ne se contredisent pas. Mais êtes-vous sûre que Pierre P. (le scénariste) acceptera ?

                Elle m’assura que oui, mais me rappela le lendemain, toute confuse :
                 — Pierre P. est monté sur ses grands chevaux, quand je lui ai parlé de notre accord. Il exige de lire le manuscrit et refuse de signer le contrat si vos modifications lui déplaisent.

                Que faire, dans ces conditions ? Dénoncer mon contrat ? Me plier au scénar qui me portait préjudice ? Le choix était cornélien.
                Il ne le resta pas longtemps car, sitôt qu’il eût pris connaissance du manuscrit, Pierre P. me téléphona.

                — Merci, Gudule, me dit-il simplement. Tu as rendu sa virginité à mon texte. En fait, ce que tu as retiré, ce sont les ajouts « commerciaux » imposés par le metteur en scène et la production. Je m’y suis opposé en vain, et ton livre m’a donné raison. Il sera nettement meilleur que le film.

                 On m’a rarement fait de plus beau compliment.

     


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  •                                                       La main du diable

     

             Les cancers ont parfois d’étranges conséquences. Celui qui sévissait dans ma tête (oui, le dénommé Guillaume, c’est cela même) me provoquait une paralysie de la main gauche qui me handicapait beaucoup — pour écrire, en particulier. Car non seulement cette main, devenue peu à peu insensible, ne m’obéissait plus correctement, mais j’avais l‘impression qu’elle m’était étrangère. Qu’elle ne faisait plus partie de mon corps, voyez ? Pire  : qu’elle était douée d’une autonomie propre au point que je finissais par en avoir la trouille. Comme si — comment dire ? — toute ma maladresse naturelle s’était concentrée dans ce membre indocile afin de perturber mes gestes quotidiens. Ramassais-je un objet ? Elle s’empressait de le lâcher. Prenais-je appui sur elle ? Elle flanchait aussitôt, me précipitant à terre. Empoignais-je une rampe, un accoudoir de fauteuil, un dossier de chaise, une poignée de porte ? Elle refusait de s’y accrocher, alors que l’instant d’avant, elle agrippait obstinément la manche dans laquelle je voulais l’introduire. Bref, elle me jouait mille tours à sa façon, ce qui, bien entendu, me foutait en rogne.

             Pourtant, ce n’était pas ça le plus flippant. Le plus flippant,  c’était quand elle se faisait passer pour la main de quelqu’un d’autre, se posant à l’improviste sur ma cuisse ou sur mon épaule, telle l’empreinte glacée d’un fantôme. Que de fois je l’ai surprise, grimpant à l’assaut de mon visage comme une grosse araignée ! Ses pattes griffues parcouraient ma peau, s’attardaient sur mes joues, rampaient vers mes yeux, mon nez, mes oreilles. Que de claques elle m’a flanquées, souvent à des endroits sensibles, faisant montre, à mon encontre, d’une hostilité frisant carrément l’autopunition !  Je n’avais d’autre choix, alors, que de l’immobiliser en la coinçant dans ma ceinture ou dans ma poche, voire de l’enterrer sous une tonne d’oreillers pour qu’elle me fiche enfin la paix.

             Un jour où je discutais avec Brigitte, elle se referma sauvagement sur son index.

             ­— Mon doigt ! Lâche mon doigt ! paniqua ma belle-fille, en repoussant l’assaillante que je m’efforçais de décrisper à l’aide de ma main droite.

             Tout en massant son doigt endolori,  Brigitte s’éloigna prudemment de moi.

             — Pauvre Michel, l’entendis-je murmurer d’un air compatissant.

     


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  •                                                                          Odeurs  de sainteté

     

    Quand j'étais enfant, l'on trouvait, dans les boutiques d'objets pieux, des images parfumées, généralement au lys  lorsqu'elles représentaient la Vierge ou Saint Joseph, à la rose — pour les Jésus blonds et les angelots  joufflus ou, plus banalement, au muguet-jasmin, pour le tout-venant des bienheureux. Je les collectionnais avec ferveur. Mes parents, fort croyants, m'ayant fabriqué un paradis de pacotille, peuplé d'une faune ma foi bien attirante, j'y barbotais sans une once d'esprit critique, pour mon, je l'avoue, plus grand bonheur. Les saints, les saintes, les anges, si beaux dans leurs atours flottants et couronnés d'auréoles lumineuses, c'étaient mes stars à moi. Mes idoles. Je leur dois mes premiers émois sensuels. Je me revois à cinq, six, sept ans, fermant les yeux et respirant à pleins poumons ces édifiantes bouffées qui me pénétraient jusqu'à l'âme. Sous l'effet de la magie  olfactive, les naïfs chromos s'animaient ; je voyais des Vierges bleues et blanches me tendre les bras, je sentais la douceur de leur main dans la mienne, la légèreté de leurs lèvres sur mon front. J'entendais les chœurs célestes, le délicat frôlement des ailes des chérubins, et j'avais sur la langue un goût d'éternité sucrée. Bref, tous mes sens, éveillés par la puissance évocatrice de l'odorat, s'unissaient pour hisser mon imagination vers le ciel — celui, je l'avoue, non point des chastes prières, mais le septième, celui des émois charnels et des païennes allégresses. Ainsi, à leur insu, les dévots concepteurs de ces bondieuseries, par la puissance évocatrice de leurs "odeurs de sainteté", m'initièrent-ils au plaisir solitaire.

          

     

     

     


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  •                                                              Serial menteuse (suite)

     

             Quelque vingt ans plus tard, je remis le couvert. Mais pour ma fille, cette fois. Et non par goût de la mystification, par complicité de mère. L’histoire de Johnny l’ayant incitée à marcher sur mes traces, nous ressuscitâmes le séduisant yankee. Le fils d’une de mes amies, en voyage à New York, lui prêta son visage, photographié devant l’Empire State Building, et je me lançai dans la rédaction de lettres d’amour. Le mensonge, cette fois, fut plus abouti, car Mélanie avait de bonnes notions d’anglais, ce qui me permit, sous sa dictée, d’intercaler des mots  « couleur locale » dans mes courriers.

             Pendant quelques jours, ce nouveau jeu fit d’elle la vedette du collège, puis elle se lassa de la frime à deux balles, et, dans un grand élan de sincérité, avoua notre supercherie — ce qui me rendit, moi, parfaitement ridicule.

             Comme quoi, le plaisir de mentir n’est pas héréditaire.

            

          


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