•                                              Bravo, l’artiste !

     

        Nous rentrions d’un séjour familial en Belgique quand, sur une aire d’autoroute, la douane volante nous tomba dessus. Tels des prédateurs cernant une proie, deux mâles et une femelle en uniformes bleus commencèrent à tourner autour de la voiture, avant de se lancer dans une fouille en règle. Que cherchaient-ils ? Mystère. En dépit de mes protestations, tout fut passé au peigne fin  : nos bagages, les provisions de route, le carton de vieilles photos récupéré dans le grenier de ma tante, et jusqu’à la réserve de croquettes du chien…

        Vint le tour du sac de Clo,  une copine de ma fille qui nous accompagnait en vacances. Voyant les douaniers explorer ses affaires, elle blêmit.

        — Non… non… ne touchez pas à ça, bredouilla-t-elle quand la douanière ouvrit sa trousse de toilette.

        Dopée par son émoi  (qu’elle prenait sans doute pour un aveu), cette dernière y plongea la main.

         Un frisson glacé me parcourut l’échine. Et si la trousse contenait des trucs compromettants, genre une boulette de shit ou un p’tit sachet d’herbe ? Connaissant ma Clo, ça ne m’aurait guère surprise.

       

        Je suais à grosses gouttes dans l’attente du verdict — et des inévitables problèmes qu’il risquait d’engendrer — lorsque la douanière poussa un cri strident, en secouant ses doigts englués de mousse brunâtre.

        — Qu… qu’est-ce que c’est ? ânonna-t-elle.

        — Du vomi, dit Clo . Je vous avais prévenue : fallait pas tartouiller là-dedans !  Je suis toujours malade en voiture, et comme je n’avais rien d’autre pour gerber...      

        — Tu as bien fait, m’écriai-je, soulagée. Au moins, tu n’as pas sali les sièges de la voiture. Va vite jeter ta trousse, je t’en rachèterai une autre à Paris.

        Tandis que Clo partait en quête d’une poubelle, la douanière fila vers les toilettes, suivie de près par ses collègues hilares. La voie était libre !

         L’instant d’après, nous démarrions. C’est alors que j’entendis distinctement ma fille glousser :

        — Génial, n’empêche, le coup du vomi ! Un peu gore mais super-efficace : faudra refiler le tuyau aux potes, ça leur évitera des embrouilles avec les flics.

     

        J’ai fait celle qui n’était pas là.

     

         


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  • Tous ces gentils articles rien que pour moi... Merci !

    http://wizzz.telerama.fr/castortillon/blog/369971203


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  • Une merveilleuse critique qui fait frétiller mon égo. Merci, monsieur Bademoude !

    http://delicesetdaubes.wordpress.com/2014/06/16/dd-n612-la-preuve-par-lexperience/

    Oooooooh !


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  •                                                  Irma la douce (ter)

     

               Durant toute mon enfance — et même bien au-delà — je « pensais » avant de m’endormir. En fait, je me racontais des histoires dont j’étais, comme il se doit, l’héroïne, et cet exercice mental, non content de stimuler mon imagination, m’apportait un immense plaisir. D’autant que, chaque soir, je reprenais le feuilleton interrompu la veille, de sorte que l’intrigue se complexifiait de jour en jour. La résumer avant chaque nouvel épisode me demandai un tel effort que je m’endormais souvent avant d’avoir fini.

               Un soir, comme tante Irma se plaignait d’insomnies, je lui dévoilai mon secret. Mais au lieu de m’en remercier, elle s’exclama :

               — Il faut que tu perdes très vite cette mauvaise habitude !  C’est dangereux de trop réfléchir : ça creuse des trous dans la cervelle.

    Imaginez mon trouble en apprenant la chose ! Mon  occupation vespérale, que je croyais bien innocente, était, en vérité un genre de maladie qui me rongeait la tête comme une souris ronge un gruyère. Dès lors, je fis barrage aux belles aventures qui enchantaient mes nuits et repoussai mes rêveries dans le néant.

    C’était, je le suppose, le but de tante Irma qui, en vieille puritaine qu’elle était, devait craindre les pensées impures qui hantent l’inconscient des fillettes prépubères.

    Résultat : à force de m’évertuer à faire le vide dans mon esprit, je devins, moi aussi, insomniaque

    Dès lors, en dépit du risque encouru, je repris mes exactions nocturnes qui, par la suite, engendrèrent des contes, des romans, des pièces de théâtre — bref  m’ouvrirent les portes d’une carrière littéraire.

    Carrière qu’interrompit, à soixante ans passés, une tumeur cérébrale.

    Après tout, tante Irma avait peut-être raison…

     .

       

     


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  •                                            Irma la douce (bis)

     

                 Quand, à dix-sept ans, je me retrouvai « avec le ballon » (comme on disait alors), tante Irma vint soutenir mes parents, dépassés par les événements. Comme nous prenions le thé en tête à tête, elle me demanda gravement :

      Puis-je te poser une question qui me tracasse ?

    J’acquiesçai, bien sûr.

                 — Où as-tu trouvé le courage de te mettre nue devant un homme ?

    Le fou-rire au bord des lèvres, je gloussai, un rien cynique :

                 — Tu te moques de moi ou quoi ? C’est pour rester habillée qu’il m’aurait fallu du courage !

             Dans son regard effaré, je vis basculer ses certitudes.

                      Je crois que ce jour-là, elle eut le sentiment d’avoir rencontré le diable.

     

     

     


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