•                                           La demande en mariage (suite)

        

           Mais l’histoire ne s’arrêta pas là, c’eût été trop simple. Aux yeux de son héros, il lui manquait une « chute » à la hauteur du préjudice subi. Si bien que vers minuit…

             A force de pleurer, je m’étais endormie, quand une voix de stentor m’éveilla en sursaut :

             — Ils vont le regretter, ces salopards ! éructait Louis en tournant dans la chambre comme un lion en cage. Jusqu’à la fin de leurs jours, ils auront ma mort sur la conscience !    

             Encore tout engourdie de sommeil, je bredouillai :

             — Qu… que vas-tu faire ?

             ­ — Leur mettre le nez dans leur caca une bonne fois pour      toutes.  

             Ni une ni deux, il se rua vers la pharmacie et en extirpa une bouteille dont il s’envoya une grosse lampée avant de préciser :

             — C’est un poison violent qui vous emporte en moins de deux. Mon agonie ne sera pas longue, rassure-toi. Mais dis bien à ton père que c’est lui le responsable, et que je l’ai maudit en expirant.

             Horrifiée, je sautai du lit pour lui arracher la bouteille, puis j’appelai les pompiers.

             — Allo ! Venez vite, mon ami vient de se suicider.

             ­— De quelle manière ?

             — Avec du poison.

             ­ — Quoi, comme poison  ?

             Je regardai l’étiquette.

             — Euh… de l’huile de ricin.

            

             Quand je raccrochai (sous les invectives de la standardiste qui croyait à une mauvaise blague), Louis était aux toilettes. Il y passa la nuit et une bonne partie du lendemain. J’en profitai pour l’abreuver de reproches sans risquer de prendre une baffe.

             Comme quoi, les laxatifs, des fois, c’est bien utile.

     

    http://nsm08.casimages.com/img/2014/06/25//14062511244616601912345337.jpg

            

            


    8 commentaires
  •                                                       La demande en mariage

     

             Louis de Backer, le vieux relieur entre les bras duquel j’avais, à dix-sept ans, perdu mon innocence, adorait « faire son cinéma ». C’est-à-dire qu’il cultivait une image de lui-même tout en excès, grandiloquence et, à vrai dire, parfaitement burlesque, conscient de l’impact de ses extravagances sur une adolescente rebelle, issue d’un milieu ultra-conservateur.

             Sa demande en mariage reste un modèle du genre.

             Du fait de mon état que l’on pourrait qualifier « d’intéressant », mes parents l’avaient sommé de réparer, de sorte qu’un matin, il m’annonça tout de go :

             — Aujourd’hui, je vais demander ta main à ton père. Tu crois que je dois mettre des chaussettes propres ?

             La nouvelle m’enchanta car, en dépit de notre différence d’âge, devenir sa femme était mon vœu le plus cher.

             Nous voilà donc partis bras-dessus bras-dessous vers la chaussée de Wavre, moi, surexcitée, lui grave et compassé.

             Bien qu’un quinquagénaire bohème et fauché fût loin d’être le gendre idéal, mes parents débouchèrent une bouteille de porto, puis, une fois les banalités d’usage échangées, passèrent à la transaction proprement dite.    

             — Comme un couple a besoin d’un minimum de confort, nous vous donnerons un lit neuf, le buffet du salon, et du linge de maison, annonça mon père avec une mine d’enterrement.  

             A l’évidence, son ton déplut au prétendant qui rétorqua aussi sec :

             — C’est tout ?

             Et tandis que la stupeur figeait mes parents sur place, il ajouta, histoire de bien enfoncer le clou :

             — Ne prenez pas la peine de me faire la charité : la seule chose qui m’importe, c’est le montant de la dot.

             Là, ça commençait vraiment à sentir le roussi.

             — Vous n’aurez pas un sou, espèce de suborneur ! explosa ma mère.

    — Non seulement vous déshonorez notre fille, mais en plus, vous cherchez à nous dépouiller ! hurla mon père en écho.

             Et moi, d’une voix tremblante :

             — Mais papa… Mais maman… Ce n’est pas ce qu’il a voulu dire…

             — Laisse, trancha mon « fiancé » en se dirigeant à grands pas vers la porte. Ça m’apprendra à être trop bon. J’étais prêt à leur rendre service en t’épousant, mais vu la manière dont ils m’ont traité, il n’en est plus question. Qu’ils trouvent un autre gogo pour lui refourguer leur linge de maison, et toi en prime !

             Alors moi, affolée :

             — Louis, non ! Ne t’en va pas ! S’ils t’ont vexé, ce n’était pas exprès !

             Trop tard, il était déjà loin.

             Avec un âcre : « C’est malin, vous avez tout gâché ! », je m’élançai à sa poursuite.

             — Alors, tu es contente ? me jeta-t-il par-dessus son épaule. Tu l’as eue, ta demande en mariage !

             Jusqu'au soir, il rumina son humiliation, tandis que je pleurais à chaudes larmes, devant les décombres de mon rêve brisé.

     

     

     


    4 commentaires
  •  

                                              La nuit où la terre trembla


           Nous étions toute une bande dans la petite maison de la forêt, une location saisonnière où nous avions nos habitudes. C’était le milieu des années 80, et plutôt que de troubler le train-train de mes vieux parents, nous préférions cette solution, qui nous permettait de leur rendre visite sans les envahir. Faut dire, entre les enfants, les beaux-enfants, les petits-enfants, les chiens, les chats + mes frangins et leur famille, ça faisait une bonne vingtaine de personnes…

             À chacun de nos séjours, mon cousin Pierre, le propriétaire de la maison, multipliait les recommandations. En ce qui concernait l’eau et l’électricité, en particulier, car le groupe électrogène tombait souvent en panne, et la chaudière était en bout de course.

             — Evitez les douches trop longues, n’utilisez pas vos ordinateurs, veillez à ne pas brancher plusieurs appareils en même temps et coupez le jus quand vous allez dormir, nous serinait-il — ce dont ma descendance se fichait comme d’une guigne.

             La responsabilité d’un bug éventuel m’incombait donc, à moi.

             Or, cette nuit-là, je suis réveillée par un bruit sourd ; une sorte d’explosion si profonde et si forte qu’elle ébranle tout le bâtiment.

             Ma première pensée est :

             «  Merde, on a fait péter la chaudière  ! »

             Illico, je fonce dans les chambres voisines en braillant :

             — Qu’est-ce que avez foutu ? Pierre va être furieux !

             Une seconde secousse me coupe la parole.

             — Un tremblement de terre ! réalise mon frère Claude qui a beaucoup voyagé. Vite, tout le monde dehors !

             L’instant d’après, nous nous engouffrons dans les voitures et filons vers Stavelot, la ville la plus proche, dont, malgré l’heure tardive, les rues sont noires de monde.

             Nous y retrouvons Pierre qui confirme la chose : il y a bien eu un séisme, un vrai.

             — De magnitude 5 sur l’échelle de Richter, précise-t-il, avant d’ajouter :

             — Le mur de mon garage est lézardé… Et dans la petite maison, pas trop de dégâts ?

             Mon sourire éclatant le rassure aussitôt.  S’il se doutait à quel point j’ai eu peur !


    3 commentaires
  • La dédicace

     

             Je cherchais désespérément un titre pour le troisième volet de ma « Ménopause des fées » lorsque Barbara eut un trait de génie.

             — Si tu l’intitulais « La nuit des porcs vivants » ? suggéra-t-elle.

             Histoire de la remercier de sa collaboration, je lui dédiai le livre en termes volontairement ambigus : A  Barbara, rousse amazone, et à sa Source merveilleuse. Comme prévu, les lecteurs tombèrent dans le panneau et l’on me demanda si j’avais viré ma cuti. Le malentendu était bien trop joli pour que je le dissipe ;  je me gardai donc de préciser que Barbara était ma petite-fille, qu’elle faisait de l’équitation et que Source était sa jument favorite.


    3 commentaires
  •                                                            Le singe

     

               En ce temps-là, les parcs d’attraction étaient rares. Et comme il fallait bien distraire les enfants, nous les emmenions souvent au zoo d’Ermenonville, à une dizaine de kilomètres de chez nous. Fallait-il que nous les aimions, nos mômes, pour nous farcir une telle corvée ! Car Alex et moi détestions les zoos dont l’ambiance carcérale nous sapait le moral.

               Ce dimanche-là, tandis que Frédéric et son père traînent du côté de la  fauverie, Olivier, six ans, me tire par la manche :

      Viens, on va voir les singes !

    Des singes ? Pourquoi pas ? Eux au moins n’engendrent pas la mélancolie. D’ailleurs, on entend  rire les visiteurs devant leurs grimaces, leurs cabrioles et (surtout !) leurs obscénités.

               Chose curieuse, cette foule hilare massée autour des cages, boude obstinément l’une d’entre elles, qu’occupe un chimpanzé aux mimiques pourtant rigolotes.

               — Chouette ! s’écrie Olivier, en se précipitant vers l’espace vide. Regarde, maman, ici, y a personne !

               Je le suis… et mal m’en prend, car une pluie de crachats nous accueille. Agrippé aux barreaux de sa prison, l’animal  trépigne de plaisir en mollardant avec entrain tout ceux qui passent à sa portée, et ce, pour la plus grande joie des spectateurs.

               Pas la mienne, hélas, car les jets de salive gluants qui dégoulinent de mes cheveux me font frémir de dégoût.

               Les visiteurs, en revanche s’esclaffent à gorge déployée.

               Mon mari, qui a assisté de loin à la scène, les fusille des yeux :

               — Personne ne t’a mise en garde quand tu t’es approchée ? s’indigne-t-il. Quelle bande de nazes ! Je m’en vais leur dire ma façon de penser, moi, à ces sagouins !

               Le sentant hors de lui, j’essaie de calmer le jeu.

              — Arrête, Alex ! Laisse-les se marrer si ça leur chante. On s’est assez donnés en spectacle pour aujourd’hui.    

               Trop tard. Comme il fonce vers l’attroupement — au risque de se couvrir de ridicule —, un glaviot fend l’espace, qui le manque de peu mais atteint un rieur de plein fouet.

               Chacun son tour ; niqué !

     

     


    7 commentaires