• Il y a une trentaine d'années, j'avais écrit un scénario de BD, inspiré de mon adolescence, pour le dessinateur Pierre-Yves Delarue. Ce dernier en a fait une centaine de planches qui ne sont jamais parues... et que nous avons eu envie de vous livrer ici, jour après jour. Certes, elles sont brutes, l'histoire est inachevée, mais comme dirait l'autre, c'est toute une époque.

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  • Chapitre 130

     


    Résumé des chapitre précédents : Enfin, voici la fin du road movies. Le but du périple est atteint. La grande serre du jardin des Plantes. Comme dirait Nora, c’est thérapeutique.

        La guichetière n'est pas d'humeur à plaisanter. Sans un regard, elle glisse le ticket rose par la petite ouverture, encaisse les deux euros réglementaires. Nora remercie, pousse la porte de verre. Aussitôt, des arômes la saisissent à la gorge, si puissants qu'elle en tousse. Lourdes exhalaisons florales, âcres relents d'eau croupie, d'humus, de pulvérulence.
        « Ça sent le sexe », constate-t-elle, éblouie. Et toutes ses nuits chaudes, ses nuits magiques, mirifiques, charlinesques, l'enveloppent. 
        Elle respire à s'en éclater les poumons. Qu'avait dit le toubib, déjà ? Qu'il fallait me traiter comme une fleur de serre. Tout s'explique. Végétale, je suis.
        Enfin, d'après le corps médical. Boris, lui, me comparait plutôt à un insecte : une mygale, une mante religieuse... Et si j'étais tout cela à la fois ? Une plante carnivore, par exemple ? Nora, la menthe religieuse...
        Le jeu de mot ne la fait même pas sourire.
        Ici, dans cette jungle miniature, ça doit proliférer, les hybrides dans mon genre ! Pas étonnant que je m'y sente si bien. Cet espace est conçu pour nous, c'est le royaume de la voracité. Suffit de voir ces liserons cannibales, se gavant de la substance des troncs qu'ils investissent ! Ces orchidées parasites, ces lierres tentaculaires ! Des ogres... Des prédateurs dégorgeant de senteurs, de couleurs, de beauté, bref déployant, afin d'envoûter leurs victimes, une séduction à la mesure de leurs appétits. Bientôt, j'en ai la conviction, ce philodendron géant, ce séquoia, ce manguier, cet eucalyptus qui semblent invincibles rendront l'âme sous leur étreinte. Mais demeureront debout, tuteur de leur assassin. Par eux, la flore mortelle se hissera vers la lumière, et l'on s'écriera : «  Oh, le magnifique arbre ! » sans se douter que ce foisonnement de feuilles, de lianes et de bourgeons n'est que la défroque d'un cadavre.
        Cette évidence remplit Nora de culpabilité. Elle se colle à un tronc, l'entoure de ses bras.
        —  Oh, Charlie, mon Charlie, pardon. Pourquoi m'as-tu laissé te prendre d'assaut, t'étouffer, hein, pourquoi ? Tu n'étais pas responsable de l'accident, je te l'ai dit et répété mille fois : j'aurais traversé, même si tu ne m'y avais pas incitée. Nous étions en retard pour le repas, tu comprends ? Ma mère avait horreur de ça, et moi, j'avais horreur de me faire engueuler. La malchance a voulu qu'une voiture passe juste à ce moment-là.
        Qu'elle me renverse sous tes yeux.
        Que j'y perde une hanche.
        Que, suite à un coma prolongé, je développe une forme de psychose assez banale — parasitaire et infantilisante. 
        Que tu décides de consacrer ta vie à réparer.
        Réparer, ô mon tendre, mon amour, ma victime. Ô naïf. Me prendre en charge. Me traîner derrière toi. Me nourrir. M'allaiter. Me laisser te sucer la moelle jusqu'à ce que mort s'ensuive.
        Mais je me suis ressaisie à temps, heureusement. Les dégâts ne sont pas encore irréversibles. Tu vivras, mon amour. Tu vivras parce que je le veux.     
        D'un geste brusque, définitif, Nora s'arrache à l'arbre qu'elle étreignait, écarte un mur de bambou, un bouquet de pavots, et s'insinue dans la verdure.
        Ça y est, c'est fait.
        — Je suis passée de l'autre côté, Charlie. Là où tu ne pourras pas me rejoindre. Là où je serai seule à jamais. Et autonome. Enfin.
        Autosuffisante.
        Mieux, autarcique.
        Beata solitudo.
        L'instant d'après, elle se déshabille. Nue, elle s'allonge sur le sol, se caresse. Jouit dans une plainte. Puis, lentement, méticuleusement, commence à dévorer le majeur de sa main droite.


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  • http://www.blog-o-livre.com/elfes-et-assassins-anthologie-2013-des-imaginales-dirigee-par-sylvie-miller-lionel-davoust/

    antho2013-elfesetassassins


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  • Chapitre 129


    Résumé des chapitres précédents : De guerre lasse, Nora a accepté de passer la nuit à l’hôtel, en attendant le retour de Charlie. Mais elle n’a pas dit son dernier mot !

        Le lendemain, très tôt, Nora règle sa note et prend la poudre d'escampette. Mais, dans la rue, elle se ravise.
        — Excusez-moi, j'ai oublié quelque chose, là-haut.
         On lui rend sa clé, elle remonte. Et, par souci du détail romanesque, marque « Charlie, je t'aime »  sur le miroir de la salle de bains, avec son joli rouge à lèvres vermeil. Puis, après un instant d'hésitation, elle rajoute en-dessous : « O beata solitudo, sola beatitudo » (l'une des maximes favorites de sa mère ; la plus tarte, sans doute. Ou, du moins, la plus mensongère).
        Le XIème, dans le petit jour, c'est à vous couper le souffle. Une lumière horizontale fait resplendir les façades modern-style du boulevard Beaumarchais. À droite, par les rues transversales, on devine le Marais, stagnant dans la brume. Au bout, le génie ailé sur sa colonne — bonjour, l'ange ! On a raté le coche, toi et moi : en d'autres temps, en d'autres lieux,  ç'aurait pu être chouette, nous deux  — , et l'Opéra Bastille, aux mille facettes de diamant.
        Les premiers cafés commencent à ouvrir. Nora en repère un pas trop naze, dont les chaises sont encore renversées sur les tables. Pas grave, rester debout ne me fait pas peur. Elle s'accoude au comptoir, commande un crème et réfléchit. De quoi Boris m'a-t-il accusée, hier ? Ah oui, de sadisme. Ce type est bien tel que je l'avais perçu au premier abord : une fieffée canaille. J'aurais dû lui casser la gueule. 
        Mais ne ressassons pas, le café refroidit.
        Elle boit, se sent tout de suite mieux. En commande un second, mais dans la salle, cette fois. Puis, vers neuf heures, le temps étant radieux, elle ramasse son sac, direction Austerlitz.
        Le jardin des Plantes est ouvert. Dedans, personne ou peu s'en faut. Quelques élèves de l'école d'horticulture qui binent les plates-bandes, un grand-père qui nourrit les pigeons sous le panneau Interdiction de nourrir les pigeons  et les appelle par leurs prénoms, la propreté de Paris qui balade son mange-crottes. Un chien sans maître flaire le pieds des arbres avec circonspection.
        Une fois de plus, je me suis laissée guider par mon instinct, constate Nora. Il sait toujours parfaitement ce qu'il fait, c'est un grand manipulateur. Il m'amène direct où il veut que j'aille.
        Devant la grande serre, très exactement.
        C'est thérapeutique.
        — Un aller simple, s'il vous plaît.


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  • Chapitre 128


    Résumé des chapitres précédents : Rien à faire : en dépit des exhortations de Boris, Nora refuse de capituler. Elle n’est pas programmée pour la marche arrière. Elle a décidé de quitter Charlie et ne reviendra pas sur sa décision, quoi qu’il arrive.

        — Alors, reste chez moi en attendant son retour, décrète Boris. Que vous puissiez au moins vous expliquer de vive voix !
        Nora fait non de la tête. Non, non. L'œil affolé.
        — Je suis gay, répète-t-il, se méprenant sur son refus. Les filles ne me font pas triquer.
        — Ce n'est pas ça...
        —  C'est quoi, alors ?
        Geste fataliste. Je ne sais plus où j'en suis mais je ne veux pas céder. J'en mourrai, si je cède, tu entends ? j'en mourrai.
        — Tu ne peux pas m'obliger, se contente-t-elle de murmurer.
        En désespoir de cause, Boris sort quatre billets de cinquante euros et les lui tend.
        — Tu vois l'hôtel, là, dans la rue Amelot ? Le Ma-jong. Tu vas y prendre une chambre. Je préviens Charlie.
        Nora repousse sa main.
        — Non, merci. C'est bien gentil, mais non.
        — Pourquoi ?
        — J'ai jamais mendié, je vais pas commencer à mon âge.
        Soupir exaspéré.
        — Ce fric, je le dois à ton mari. Vous faites bourse commune, à ce qu'il me semble ?
        Ah, dans ce cas, c'est différent. Elle prend le trésor, le glisse dans son blouson.
        — Le Ma-jong, hein ! insiste Boris en le montrant du doigt. Ne te trompe pas d'adresse !
        Nora acquiesce, sort sans se retourner.
        Traverse la place, se dirige vers l'hôtel, se sachant observée.     Docilement, elle entre, se présente à la réception, signe le registre. On lui donne une clé. La voilà chez elle. De toute façon, Charlie et Boris ne se parleront pas avant demain matin : les postes sont fermées. J'ai la nuit devant moi.
        Elle se déshabille, fait couler un bain. Envisage un instant de se noyer mais y renonce — trop commun, comme suicide, trop sordide. Se résout à apprécier cette halte forcée, cette parenthèse de luxe, calme et volupté. Laisse l'eau chaude amollir ses chairs, détendre ses muscles. Ferme les yeux. Et profite de l'instant.


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