• Chapitre 68

      Résumé des chapitres précédents : En fait, le logement de l’ange est un squat.

     

             Ils remontent vers Châtelet, s'engagent sur les boulevards. Le squatt en question se trouve au fond d'une impasse. Il a encore fière allure, malgré ses murs noircis et ses fenêtre en partie murées.

             — 1930, estime Nora. Les balcons sont ravissants. Ce n'est pas classé ?

             — Faut croire. À moins que les promoteurs n'aient versé des pots-de-vin à qui de droit pour que le dossier se perde.

             Cage d'escalier cradingue, peintures lépreuses, vitres brisées. Flaques croupissant à même les marches. Une odeur innommable.

             — Vous faites souvent le ménage ? glousse Nora, enjambant les gravats.

             — Non, mais si le cœur t'en dit...

             Un étage. Deux.

             — Bienvenue au paradis, dit l'ange en poussant la porte.

             Dieu, que c'est grand ! Longs parquets (jadis) cirés, murs couverts d'affiches et de graffitis mais merveilleusement agencés. Un espace calme, équilibré, meublé de bric et de broc avec de la récup, des chaises bancales, des caisses, des présentoirs à prospectus. Sur une pile d'annuaires servant de guéridon, une gerbe d'arums au calice lubrique.

             — Super ! applaudit Nora.

             L'ange est content qu'on apprécie son petit chez-lui. S'il avait des ailes, il les agiterait (les ailes étant aux anges ce que les queues sont aux chiens).

             — Ta chambre, annonce-t-il, désignant la pièce au bout du couloir.

             Par terre, un matelas tiré d'une benne et couvert d'un duvet de camping taché. En guise de rideau, ce qui dut jadis être un drap de lit. Difficile de trouver plus sordide — mais pour Nora, la suite royale d'un cinq étoiles.

             — Super, répète-t-elle à défaut de mieux.

             — Bon, je m'en vais, dit l'ange. Si t'as faim, il reste des pâtes au frigo. Et si tu flippes, on a du Prozac dans la salle de bains.

             — Ça va, pour ça, j'ai ce qu'il me faut.

             — Ah, et puis évite d'entrer dans la chambre à côté, ma meuf se repose.

             — Merci, dit Nora, sincère. T'es vraiment un ange.

             — Pas de quoi, sourit l'ange.

             Et il s'envole.

                                                                                                                                       (A suivre)


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  • Chapitre 67

     Résumé des chapitres précédents : Sylvain, touché par le désarroi de Nora, offre de l’héberger.

     

             — Si tu veux, on y va tout de suite, propose l'ange. Je travaille dans une heure, on a juste le temps.

             — Tu fais quoi ?

             — Diff de tracts dans les queues de cinéma. (Poursuivant son idée) Tu t'installes, tu prends tes aises et tu ne t'occupes pas de nous, OK ?

            OK.  À la perspective d'avoir un point de chute, Nora exulte. Ce bol qu'elle a ! « T'es née coiffée », disait sa mère.

             Coiffée... Le miroir du bistrot lui renvoie cette toison rétive que le peigne n'a jamais su dompter. Un embrouillamini de boucles sauvages croulant au ras de l'œil. «  Coupe cette frange ! » la sermonnait sa mère. Et à l'hôpital : « Relevez vos cheveux ! » Que non point. Laissez-moi mon rempart, ce filtre capillaire entre moi et le monde.

             Une seule exception : Charlie quand il m'aime. Dans l'excès d'impudeur qu'insufle le désir, il m'arrive, je l'avoue, de lui offrir mon front tel qu'au jour de ma naissance : sans mèches protectrices. Plus nue que nue, en somme. Ouverte à tous les vents. Mais ça, c'est transgressif, et le rideau retombe sitôt l'acte accompli.

             — Allons-y, dit Nora.

             Elle termine son café, abandonne le sandwich et suit l'ange hors du bouge.

             — On squatte un vieil immeuble à Strasbourg-Saint-Denis, explique ce dernier. Il y a plusieurs années que tous les locataires ont été expulsés. En principe, ça doit être démoli. Mais un détail administratif doit bloquer la machine, les travaux sont sans cesse reportés. Lulu et moi, on s'est récupéré un apparte de cinq pièces avec parquets en chêne et plafonds moulurés, un truc d'enfer.

             — Et les flics ne vous font pas chier ?

             — Ils ont plus ou moins essayé, mais pour l'instant, c'est le statu quo. Je suppose que, le moment venu, ils nous videront à coups de lacrimos — ou de bulldozers, carrément. En attendant, on est peinards.

                                                                                                                                        (A suivre)

     


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  • Chapitre 66

    Résumé des chapitre précédents : Nora a largué les amarres et part à la dérive. Mais en chemin, elle re-rencontre l’ange. Au même endroit que précédemment. 

     

             Nora attaque son sandwich. Mâche au ralenti. On ne parle pas la bouche pleine. L'ange comprend à demi-mots, et même à pas de mots du tout.

             — Où loges-tu, alors ?

             — J'en sais rien.

             Il s'en doutait. C'est intuitif, un séraphin.

             — Ça se voit tant que ça, que je sais pas où aller ? s'étonne Nora.

             Il hoche la tête.

             — La nuit, tous les paumés sont gris.

             — Je suis grise, moi ? J'ai même pas bu.

             — Je ne parlais pas d'état mais de couleur.

             Menton sur la poitrine, elle examine ses fringues.

             — Je ne suis pas grise, je suis noire, blanche et bleu délavé.

             —  Ton visage est anthracite.

             — Ben v'là autre chose !

             — Comme les p'tits rats des villes. Y en a plein, sur les rails du métro. Ils bouffent les mégots de cigarettes et les cartons de MacDo. Quant le train arrive, ils se planquent sous le balast. Des fois, ils se battent pour les bouts de pain que leur jettent les clodos. Les bas-fonds urbains ont aussi leur zoo.

             — Merci pour la comparaison, siffle Nora.

             Ce sandwich est dégueulasse. Du papier de verre.

             — Fallait demander des cornichons, dit l'ange.

             — J'ai rien bouffé de la journée et ce truc me dégoûte, s'effare Nora, repoussant l'assiette.

             — Tu mange quoi, d'habitude ?

             — De la soupe. Mais je ne crache pas sur un petit cheese de temps en temps.

             L'ange hoche la tête.

             — Je peux t'héberger, si tu veux.

             Un sauveur. Une bouée lancée à la naufragée dérivant sans épave.

             — Tu es sûr que ça ne te dérange pas ?

             — Tu te feras toute petite.

             — Et Lulu ?

             — Oh, elle...

             — Je ne voudrais pas m’imposer.

             — T'inquiète pas pour ça, t’es mon invitée.

             Un sauveur, dis-je. Et le mot n'est pas trop fort.

                                                                                            (A suivre)

     


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  • Chapitre 65

      Résumé des chapitres précédents : Tiens ? Quelqu’un qu’on connaît !

     

             L'ange en personne. Toujours aussi blanc, toujours aussi blond.  Aussi aérien que dans le souvenir de Nora.

             — Bonsoir, sourit-elle. On s'assied ?

             — Et ton disque ?

             — Ça peut attendre.

             Ils choisissent une table au fond.

             — Quoi de neuf ? s'informe l'ange, une fois installé.

             — Bof, rétorque Nora.

             — Je vois, c'est palpitant. Mais encore ?

             — J'ai passé la journée à me promener.

             — Où ça ?

             — Dans le coin

             — Et les veaux, vaches, cochons, couvées ?

             Elle frissonne. Pourvu que Marie-Jeanne ait pensé au pain du poney. Et que le chat n'ait pas fugué. À cette saison, ils ont le feu au cul. Ils disparaissent huit jours et on les récupère squelettiques, couverts de plaie, bourrés de vermine.

             — T'as déserté ta campagne ?

             — J'ai tout déserté.

             Elle en a des sueurs froides. Pourvu qu'il y ait assez de boîtes, dans le garde-manger. Un pack de dix, j'ai laissé. Plus des croquettes. Pauvre bête, c'est qu'il dévore ! Peut-on réellement faire confiance à Marie-Jeanne ? 

             — Raconte-moi ça, dit l'ange.

             Nora se gratte la tête. Peut-elle réellement faire confiance à l'ange ?

             — J'ai repris ma liberté, finit-elle par avouer.

             — Les champs ne te suffisaient plus, comme espace ? Il te fallait Paris ?

             — En quelque sorte.

             Il se marre. Dents d'une blancheur insensée. Il y a du surnaturel là-dessous.

             — Tu es toujours dans le XIIIème ?

                                                                                                                    (A suivre)

     


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  • CINQ CONTES RIGOLOS POUR LES LECTEURS À PARTIR DE 8 ANS.

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