• chapitre 35

     Résumé des chapitres précédents : Le tribunal Charlie-Nora siège dans l’appartement de Boris. La parole est à l’accusation !

     

             Boris et le thé sont dans la cuisine, on entend l'un qui prépare l'autre. Tic-tac fait la pendule de l’avant-dernier siècle. Sur la platine, des lieders de Strauss. Pas Johann ni Levis, Richard, le troisième larron. Nous avons affaire à une famille nombreuse.

             Nora et Charlie, silencieux, attendent. Pas très confortable, ces clubs, finalement !

             Revoilà Boris, le visage impénétrable.

             « Il a baissé le rideau de fer, pense bêtement Nora. Avec un panneau dessus : fermé pour cause de procès. »

              L’accusé pose le plateau sur la table, s'assied face à ses visiteurs, et laisse tomber, du haut de son piédestal :

             — Je vous écoute. 

             Pfiou, pas facile à dire. Autant, dans la colère, les arguments fusaient, autant, après vingt minutes de métro, quatre étages, plus le temps d'infusion du Djaardeling, on rase motte.

             Nora fixe ses tennis : une affaire, huit euros cinquante chez Leclerc. Noir, c'est joli sur des chevilles bronzées. Ils avaient les mêmes en beige et kaki. Elle a hésité. Beige, trop salissant, kaki, trop militaire. Bref, elle a pris noir et ne le regrette pas

             Charlie toussote pour s'éclaircir la voix.

             — Je voudrais savoir pourquoi tu as chassé Nora de chez toi, hier soir.

             Les sourcils de Boris se rejoignent au-dessus de l'arête du nez, qu'il a long et busqué.

             — Chassé ? Mais... je n'ai rien fait de semblable ! Elle m'a dit qu'elle avait un rencard, et... 

             Son regard incrédule passe de l'un à l'autre.

             — C'est ça, votre « truc grave » ? Ben vous en tenez une sacrée couche, vous deux !

             Il se sert une tasse de thé, l'avale cul sec. Se ressert. Charlie et Nora en font autant mais déclarent forfait après le premier round.

             — Écoute, Boris, reprend Charlie, aussi  patiemment que s'il s'adressait à un débile. Il faut que tu comprennes bien une chose : Nora et moi, on est inséparable. On va partout ensemble, on travaille ensemble, on ne conçoit pas d'être éloignés, même pour une heure.

             — Grands dieux ! s'horrifie Boris.

             — Je te jure, insiste Nora, c'est comme ça qu'on fonctionne !

             — Et on s'en porte bien ! assure Charlie.


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  • Chapitre 34

    Résumé des chapitres précédents : Houlà, Charlie se fâche ! Ce satané Boris va avoir de ses nouvelles !

     

             Le combiné sur l'oreille, Charlie affûte ses crocs. Une sonnerie, deux, trois...

             — Allo ?

             — Boris, c'est moi. Il s'est passé une chose inqualifiable, hier, à mon insu. J'aimerais qu'on en discute. Je peux passer te voir ?

             — J'ai un rendez-vous dans l'après-midi, mais si tu viens avant... Vers deux heures, ça t'arrange?

             — Je te préviens : Nora sera avec moi.

             — Bon.

             — On arrive.

             Il raccroche rageusement.

             — Je vais lui apprendre la politesse, moi, à ce goujat !  

             — Euh... Tu crois que ma présence est vraiment nécessaire ? se tortille Nora.

             — Et comment ! Faut faire bloc, ma vieille. Si j'y vais seul, c'est comme si on cédait.

             « Oh, mes tomates... Oh, les silences de mon jardin, le chat qui roupille sur mes genoux, une Série Noire, une verre de limonade... J'envie les escargots, on n'en a pas idée. Ils se planquent dans leurs tréfonds et pour les déloger ! Même en les cuisant, il y a une perte d'au moins vingt-cinq pour cent. Et le plus génial, c'est la façon dont leur coquille est agencée. De plus en plus étroit, de plus en plus intime à mesure qu'on recule. Au centre de la spirale, je suis sûre qu'ils rencontrent Dieu ! » 

             Quelle tête peut bien avoir le Dieu des escargots ?

             Cette question occupe Nora durant tout le trajet. Du moment qu'il n'a pas la tête de Boris...

                                                                                                                                               (A suivre)

     


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  • Chapitre 33

     Résumé des chapitre précédents : L’heure est aux explications. Et ces explications ont nom Boris.

     

             Nora, tout d'une traite, les yeux fermés pour mieux se souvenir :

             — C'est-une-séance-de-travail-fallait-pas-que-tu-viennes-on-n'est-pas-là-pour-s'amuser.

             — Et tu n'as pas insisté ? bondit Charlie. Tu ne l'as pas remis à sa place ?

             — T'es fou ? J'allais pas m'applatir devant ce con !

             — Il fallait m'avertir au lieu de te sauver comme une voleuse.

             — Quoi ? T'aurais voulu que je te tire par la manche : Papa au secours y a le monsieur qui m'embête ? J'aurais eu l'air de quoi, sans blague ?

             — Tu as donc si peu confiance en moi ?

             — Ce n'est pas une question de confiance, c'est une question de dignité. On me vire, je me tire, point barre. Tu imagines le malaise si j'étais rentrée de force ?

             — Là n'est pas le problème : si Boris ne voulait pas de toi, il ne m'avait pas non plus, c'est aussi simple que ça.

             — Tu aurais laissé passer la chance de ta vie ?

             Geste tendre, à peine esquissé mais si explicite.

             — TU es la chance de ma vie, ma louloute, fourre-toi bien ça dans le crâne.

             « OooOoOOoooh, mon roudoudou d'amour... Continue sur ce ton, s'il te plaît, je sens que je reprends du poil de la bête. » 

             — Déconne pas, proteste Nora pour la forme. Tu sais bien tout ce que Boris signifie pour toi, sur le plan professionnel. Alors, bon, normal que je m'efface.

             — Tu aurais vraiment été chez ta sœur, je dis pas. Mais te torcher la gueule dans des bars malfamés...

             — Il n'était pas malfamé, ce bar, qu'est-ce que tu crois ! J’y ai même rencontré un très gentil jeune homme. 

             — Tu t'es laissée embarquer par un type ?

             Elle rit, entre candeur et provoque, l'une et l'autre demeurant, chez elle, indissolubles.

             — Pourquoi t'es pas rentrée, plutôt que de traîner ? insiste Charlie.

             — Pas envie. J'ai à peine eu le courage de remonter la rue.

             — Fallait prendre la voiture.

             — C'est toi qui avais les clés.

             — Alors, un taxi.

             — Ben... c'est ce que j'ai fait, t'as pas remarqué ?

             Ils s'affrontent du regard. Elle, avec défi, lui, défiant.

             — T'as pas l'habitude, tu aurais pu tomber sur des violeurs, que sais-je ?

             — Oh, dis, j'ai pas cinq ans ! J'y ai vécu, à Paris, je te rappelle. J'en suis pas morte.

             Il n'est pas convaincu mais s'écrase. Et la couve des yeux. Cette bouche, quel chef-d'œuvre ! Il faut être taré pour fermer sa porte à une bouche pareille.

             —  Cet enculé de Boris va avoir de mes nouvelles !

                                                                                                                                          (A suivre)


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  • Chapitre 32

     Résumé des chapitre précédents : Charlie a récupéré Nora salement shlass, après sa soirée avec l’ange. Et elle a cafté, pour Boris. Mais bon, la croit-il ?

     

             Le lendemain, tard dans la matinée :

             — Tu fais quoi, Charlie ? (murmure à peine audible)

             — Je prépare du café.

             Nora en a bien besoin : une barre incandescente lui perfore le front, d'une tempe à l'autre. Sans compter la nuque raide et cette phénoménale envie de gerber.

             Il sort de la cuisine, une tasse à la main. L'aide à s'asseoir. Lui colle une pile de coussins derrière le dos.

             — Avale ça, c'est bon pour c'que t'as.

             L'âcre fumet la fait grimacer, moitié plaisir, moitié nausée.

             Une gorgée. Ça brûle. C'est agréable. Le mal au cœur s'estompe en lousdé. Allez, une deuxième, histoire de confirmer.

             — Tu veux que je te masse le front ? suggère Charlie. Il y a de la pommade au menthol sur l'étagère.

             Sans attendre un acquiescement gagné d'avance, il s'enduit les paumes de crème translucide, les applique sur les sourcils noirs et fournis, puis, par petites touches, son pouce remonte vers la racine des cheveux. Nora ronronne.

             — Bon, maintenant que ça va mieux, il serait peut-être temps qu'on cause, conclut-il, en s'essuyant les doigts sur son tee-shirt. T'as raconté des conneries, hier ?

             — À propos ?

             — De Boris. Il ne t'a pas virée, hein ?

             — Que si ! Et plutôt deux fois qu'une.

             — Mais... comment se fait-il que je ne me sois rendu compte de rien ?

             — T'étais déjà à l'intérieur, en train de saluer tes petits camarades.

             La nuance de rancune n'échappe pas à Charlie. Traduction : tu m'as larguée, moi, ta tienne, pour deux pékins sans intérêt. J'ai même cru un instant — mais j'ai vite révisé mon jugement, rassure-toi — que tu étais complice de mon rejet.

             Balayant d'un haussements d'épaules sous-entendus et arrières-pensées, Charlie exige :

             — Je veux du concret ! Répète-moi exactement les paroles de Boris.

                                                                                                                              (A suivre)

     


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  • Chapitre 31

    Résumé des chapitres précédents : Aux petites heures, le taxi dépose Nora, en larmes et pétée, rue du Chevaleret.

     

             Charlie descend quatre à quatre, la récupère. Nora se laisse emmener sans rien dire. De toute manière, impossible de parler : sa gorge est H.S. pour cause d'inondation.

             Il la prend dans ses bras, la fourre dans le hamac. La balance. Entre les branches des palmiers, elle voit le ciel tavelé d'étoiles et la lune, parfaitement circulaire, d'un bel orange mordoré. Il est bientôt quatre heures, l'horizon ne tardera pas à blanchir, derrière les Mercuriales.

             — Nora, appelle doucement Charlie.

             Le pont de Tolbiac, éclairé, c'est féerique.

             — Nora, tu dors ?

             En revanche, les palmiers choquent. Rue de Paris par une nuit tropicale.  Ri-di-cule. Quoique... Les Américains n'ont-ils pas reproduit Big Ben en Californie ? À moins que ce ne soit l'Atomium, ou la petite sirène de Copenhague. Tout est possible, de nos jours. Alors, bon, rue de Paris sous les Tropiques, c'est pas plus naze qu'autre chose. 

             Charlie lui caresse le visage.

             — Que s'est-il passé, ma puce ?

             Elle tourne la tête vers lui et, le plus distinctement possible, articule :

             — Boris m'a flanquée à la porte.

             Il bondit.

             — Tu te fous de moi ?

             Point du tout. C'est la vérité vraie. Il lui a dit, grosso-modo, tu nous fais chier, on est pas là pour rigoler, barre-toi avant que je me fâche et va te faire pendre ailleurs.

             — Grosso-modo, hein. Je me souviens plus des termes exacts.

             — Mais c'est impossible, voyons ! Tu as dû mal comprendre, nous faire une parano.

             — Croix de bois croix de fer. Alors je me suis cassée et j'ai échoué dans un troquet où j'ai bu des demis.

             — Avec ton traitement ? Bravo, on voit le résultat...

             — C'était ça ou me jeter sous le métro.

             — Arrête, tu me bousilles, là !

             —  Chacun son tour.

             Charlie se mord les lèvres. Inutile d'essayer de la raisonner dans cet état. Demain, il tirera cette affaire au clair, mais d'abord, le plus urgent. Laisse-toi faire, ma douce.

             Sous sa lèvre, elle s'apaise.

             Dehors point l'aurore. Déjà, le ciel s'ensanglante et les voies, braises, tisons, commencent à rougeoyer. Dans un fracas de ferraille, les premiers trains s'ébranlent.

             — Oui, souffle Nora, tendue vers l'avant.

             En elle aussi, le soleil se lève.

                                                                                                                                     (A suivre)

     


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